19 mars 2012

UNE NORME UNIQUE OU UNE SEULE POINTURE POUR TOUS ?

La liberté et l’autonomie ne se réalisent pas dans le désir
d’être exceptionnel, singulier ou unique, mais dans la confrontation à ses semblables et la prise de conscience que l’histoire personnelle est en permanence influencée et conditionnée par l’histoire des autres.
– Vincent Gaulejac
Sylvain Le May
Président

Depuis plusieurs années, il n’est pas rare de constater que tant au sein de la société québécoise que pour les aménagements scolaires mis de l’avant par un conseiller[1] pour soutenir un étudiant dans la réalisation de son projet universitaire, l’idée d’une norme unique et d’un seul passage obligé pour tous sont présents.

 

Or l’idée d’une norme unique semble beaucoup plus relever d’un besoin de balises claires que d’un souci d’équité. Il est paradoxal de constater que 50 ans après le Rapport Parent[2] et après 40 ans de réflexion sur l’égalité des chances dans le système d’éducation québécois, on en arrive à remettre en question les mesures mises de l’avant pour pallier les incapacités des étudiants en situation de handicap. Il faut se rappeler qu’« une situation de handicap  est toujours le produit de deux facteurs, d’une part, une personne est dite “handicapée” en raison de sa déficience […] et d’autre part, des barrières environnementales, culturelles, sociales, voire réglementaires créant un obstacle que la personne ne peut affranchir en raison de sa ou ses particularités[3] ».

 

 

Cet effet est encore plus important, car c’est par des mesures appropriées à chaque étudiant que le projet d’études devient possible, voire réalisable. Remettre en question l’ensemble de ces moyens signifie remettre en question l’identité même de l’étudiant. Il ne faut jamais perdre de vue que si celui-ci le pouvait il se passerait bien de nos services pour se fondre dans la masse étudiante. Pour le conseiller, le défi consiste à éviter le piège de la duplication des aménagements d’un étudiant à l’autre.  Pour ce faire, il doit développer, tant pour l’étudiant que pour son milieu, sa créativité afin d’être un agent de changement et de référence en matière d’aménagements scolaires. Le conseiller devra développer ses habiletés relationnelles. Le produit de cette rencontre entre l’étudiant et le conseiller met en relief l’interaction entre le profil de l’étudiant, l’analyse de ses capacités, de ses déficiences et des situations de handicap qu’il rencontre. Ses actions seront guidées par une analyse de besoin comportant trois sphères : la cueillette d’information, l’évaluation et l’environnement universitaire.

 

 

Actuellement le nombre d’étudiants inscrits dans les services d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap est de 6 905. De ce nombre, 4 669 ont un trouble d’apprentissage, un trouble de santé mentale ou un trouble du spectre de l’autisme et 2 306 présentent une déficiente motrice ou une déficience sensorielle[4].

 

À cet égard, il est important de rappeler qu’à la suite de plusieurs questionnements transmis au ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie (MESRST), ce dernier s’est adressé à la Direction de la santé mentale du ministère de la Santé et des Services sociaux afin qu’il précise sa position. Les grandes lignes de cette position ont été transmises aux collèges et aux universités dans une correspondance envoyée par le MESRST en septembre dernier. On y souligne que par définition un trouble est permanent et chronique. En ce sens, il diffère d’une difficulté qui elle est de nature temporaire, transitoire, passagère. On ne peut remédier aux causes du trouble, qui vont ainsi demeurer présentes tout au long de la vie de l’individu. Dans ce contexte, le rôle du conseiller est, à partir du diagnostic, d’évaluer les besoins qui en découlent afin d’accompagner l’étudiant dans la réalisation de son projet d’études. C’est le conseiller qui est garant, au regard des pièces justificatives au dossier de l’étudiant, des aménagements permettant de relever les différents défis quotidiens auxquels ce dernier est confronté. Pour ce faire, le conseiller doit demeurer ouvert et à l’écoute de l’étudiant et éviter la tentation de la norme unique, plus rassurante qu’une recherche personnalisée de solutions.

 

Viendrait-il l’idée à un commerçant de ne vendre qu’une seule pointure de chaussures ? Chaussons-nous tous du 8 ? Si certaines campagnes publicitaires nous interpellent sur la diversité des corps et des genres, nous devons nous rappeler qu’il en va de même pour la diversité des apprentissages. Nous n’apprenons pas tous de la même manière ni au même rythme. Nous sommes tous appelés à relever le défi de la diversité, ce qui n’est pas toujours facile. Ceci est vrai tant pour les groupes que pour les individus assis dans une classe. Comment dans notre société d’aujourd’hui, peut-on imposer une norme unique ? « Sur ce tissu d’Arlequin du corps ou du collectif, comment imposer le normal sans sottise ni crime, comment repérer une norme, sinon celle que ce bouquet même constitue en genre humain ? »[5]. Tenter d’y répondre en faisant fi de la diversité que nous rencontrons tant dans la diversité des besoins que dans les réalités individuelles serait faire fausse route. Nous questionner sur nous et sur nos interventions est l’essence même de notre travail. Ce questionnement est en lien direct avec le principe de l’égalité des chances.

 

Afin de coordonner nos visions et nos actions, nous procéderons, le 3 décembre prochain dans le cadre de la Journée internationale des personnes handicapées, au lancement du Cadre de référence et pratiques d’usage de la conseillère et du conseiller aux étudiants en situation de handicap en enseignement supérieur 2013. Nul doute que cet ouvrage de référence nous permettra d’ancrer davantage nos interventions ainsi que les obligations légales qui en découlent. Ce lancement sera suivi en mai prochain d’une formation dédiée aux conseillers aux étudiants en situation de

[1] L’utilisation du genre masculin n’a que pour seul but d’alléger le texte.

[2] http://www.larevolutiontranquille.ca/fr/le-rapport-parent.php.

[3] Vincent Assante dans Situation de handicap et cadre de vie, 2000, cité par Alain Blanc dans Le handicap ou le désordre des apparences, Paris, Éditions Armand Colin, 2006

[4] Vous pouvez voir les statistiques complètes au http://aqicesh.ca/docs/STATS_AQICESH_-2012-13.pdf.

[5] Michel Serres, A  visage  différent  :  l’alliance  thérapeutique  autour  de l’enfant meurtri, Paris, Édition Hermann, 1997, cité dans Charles Gardou et ses collaborateurs, Connaître le handicap, reconnaître la personne, Ramonville-Saint-Agne, Édition Érès, 1999. P.11.