19 mars 2016

Tenir conseil à distance : fermer les yeux pour mieux comprendre

Geneviève Caron, conseillère aux services aux étudiants, TÉLUQ

L’Université Téluq offre près de 400 cours entièrement à distance. Ce faisant, elle accueille des étudiants1de partout au Québec, au Canada et d’ailleurs dans le monde. Dans ce contexte, la pratique en présentiel est tout à fait hors-norme au sein de notre équipe du Service aux étudiants. Ainsi, depuis mon arrivée à l’Université Téluq au printemps dernier, la pratique à distance est devenue mon pain quotidien, une activité tout à fait normale, mais pas banale ! La flexibilité de la formation à distance à l’Université Téluq est séduisante pour plusieurs étudiants en situation de handicap. Elle permet d’éviter plusieurs déplacements, de gérer son temps et même d’étudier selon un calendrier atypique. En effet, le phénomène d’admission en continu permet à l’étudiant de commencer ses cours à peu près à tout moment dans l’année. Cependant, certains défis sont accentués dans une formation entièrement à distance. Pensons entre autres au phénomène d’isolement, à la perte de motivation et à la procrastination. L’intervention à distance est de plus en plus populaire et s’inscrit dans une nouvelle tendance, même pour les services professionnels. Elle répond, notamment, aux besoins criants d’économie de temps et de simplicité pour une bonne partie de la population. Pour la population étudiante et en situation de handicap, je fais l’hypothèse qu’elle est encore plus attrayante. En effet, elle permet d’éliminer plusieurs barrières et de rejoindre ces étudiants dans le confort de leur foyer ou de leur milieu de travail. Dans cet article, je vous présente quelques particularités du soutien à distance des étudiants en situation de handicap.

Établir un lien de confiance

J’aimerais souligner que la plupart de mes interventions se déroulent au téléphone. J’entends déjà certains d’entre vous s’exclamer: « mais pourquoi se limiter à la voix, alors qu’aujourd’hui, la technologie nous permet d’utiliser la vidéoconférence ? ». Il y a d’abord des raisons pratiques. Les étudiants qui choisissent de faire une rencontre par vidéo- conférence doivent disposer d’une technologie assez puissante pour donner une image fluide et en temps réel. Autrement, les décalages se transforment en distraction. En fait, la plupart des étudiants choisissent le téléphone au moment où je leur propose une rencontre. Il y a aussi des avantages à se limiter à la voix. L’information transmise par les variations de la voix serait plus juste que celle transmise par le langage non verbal, puisque la hauteur des sons, la cadence, la vitesse et le volume sont plus difficiles à contrôler consciemment que le reste du langage non verbal. Kraus (2017) a démontré que, lorsqu’on n’est pas distrait par les signaux non verbaux visuels, on se concentre davantage sur les variations de la voix. On parvient alors à mieux les interpréter, ce qui augmente notre compréhension empathique. Cette compréhension empathique est un chemin qui permet d’ouvrir le canal intersubjectif entre deux personnes (Finn, 2009) ce qui permettra de faire une bonne collecte d’information sur la situation de la personne, incluant ses forces, ses difficultés, ses déficiences, etc.

Recueillir l’information

Bien que les variations de la voix nous fournissent beaucoup d’information sur l’état de la personne devant sa difficulté, certaines informations nécessitent d’être précisées. Dans un contexte à distance, je m’inspire de l’étude de la clinique du travail (Clot, 2008), en particulier la technique de « l’instruction au sosie ». Cette dernière vise à faire l’inventaire précis d’une journée de travail ou d’étude. Je l’utilise pour faire verbaliser aux étudiants les activités pour réaliser leurs études et leurs examens et les défis qu’ils rencontrent. Je pourrais, par exemple, demander à une étudiante : « Supposons que je sois ta jumelle et que demain, je te remplace dans ta journée d’examen. Quelles sont les instructions que tu devrais me transmettre pour que personne ne s’aperçoive que c’est moi ? ». Il s’agit d’une intervention qui permet à la fois de faire ressortir les ressources déployées pour réaliser des études à distance et les difficultés rencontrées. Cette précision est davantage importante dans un contexte à distance, puisqu’il m’est souvent difficile de faire des déductions à partir de ce que je vois. Cette verbalisation, en plus d’effectuer une prise de conscience des ressources et des limites, permet à l’étudiant d’élaborer un vocabulaire plus précis pour exprimer ses besoins en regard de sa situation de handicap. Ce faisant, il pourra mieux exprimer ces derniers dans un contexte d’insertion scolaire ou socioprofessionnelle. Assurer la confidentialité

Lors d’une rencontre d’accueil par téléphone, il m’est déjà arrivé qu’un étudiant m’indique qu’il était dans l’autobus. En présentiel, il est plus évident de contrôler les entraves possibles au maintien de la confidentialité. À distance, il faut s’assurer que l’étudiant est bien dans un endroit où la confidentialité pourra être préservée. Il est donc recommandé de donner rendez-vous à la personne comme on le fait en présentiel et de s’assurer qu’elle est au bon endroit et que le moment est propice.

Conclusion

Privée d’une richesse d’information tirée de la pratique en présentiel, j’ai été forcée de développer des ressources de compensation. J’ai naturellement dû focaliser mon expérience sur les informations disponibles et sur la manière de les recueillir. C’est avec grand étonnement que j’ai réalisé que ce canal d’information qu’est la voix est une source fiable et que l’étude clinique du travail pouvait me rendre service.

Bibliographie

Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir, Paris : PUF, 312 p.

Finn, S.E. (2009). The Many Faces of Empathy in Experiential, Person-Centered, Collaborative Assessment. Journal of Personality Assessment, 91 (1), 20-23.

Kraus, M.W. (2017). Voice only communication enhances empathic accuracy. American Psychologist, 72 (7), 644,654.