19 mars 2012

Témoignage d’une nouvelle conseillère : la diversité de nos approches L’orthopédagogie au postsecondaire, du collégial à l’université

Marie-Michèle Vézina, étudiante à la maîtrise en orthopédagogie, Université de Montréal et conseillère aux étudiants en situation de handicap à Polytechnique Montréal

« In the middle of difficulty lies opportunity. » – Albert Einstein Dans les difficultés réside l’espoir.

Les troubles d’apprentissage, le trouble déficitaire de l’attention, les élèves en difficultés, tous ces termes viennent inévitablement à nos oreilles depuis quelques années quand l’on œuvre dans le domaine de l’éducation. En tant que nouvelle conseillère aux étudiants en situation de handicap et orthopédagogue à Polytechnique Montréal, ces termes font partie de ma réalité. Dans cet article, je souhaite partager un peu de mon quotidien et de mes découvertes de la dernière année avec vous et, si le cœur vous en dit, répondre à certaines de vos questions et vous proposer une vision accessible de l’orthopédagogie au niveau postsecondaire.

Pertinence des interventions orthopédagogiques au postsecondaire

On entend beaucoup plus souvent parler d’orthopédagogues qui travaillent dans des écoles primaires ou secondaires, parfois en clinique privée. Depuis quelques années, l’orthopédagogie fait son apparition dans les milieux postsecondaires. Vous vous demandez peut-être pourquoi? Les raisons sont multiples : entre autres, les spécialistes décèlent de mieux en mieux les troubles chez les enfants, les services offerts dans les écoles se perfectionnent et la société québécoise défend l’accès à l’éducation pour tous.

Ce contexte favorise donc l’accès aux études postsecondaires pour ces étudiants que l’on désigne sous l’appellation « population émergente ». Dans la situation présentement exposée, on y inclut habituellement, comme le propose le Comité Interordres, les étudiants présentant des troubles d’apprentissage, des troubles envahissants du développement, des troubles de santé mentale ou des troubles du déficit de l’attention. L’orthopédagogue en milieu postsecondaire intervient certainement auprès de ces étudiants, d’où la pertinence de connaître les caractéristiques et manifestations des différents troubles mentionnés précédemment. Puis, dans certains cégeps et universités, l’orthopédagogue rencontre également tout étudiant qui présente des difficultés dans son cheminement scolaire et qui se questionne sur les origines de symptômes comme la fatigue persistante, la concentration fluctuante ou encore l’anxiété. À ce sujet, l’orthopédagogue, toujours en collaboration avec ses collègues (autres conseillers, psychologues, etc.), peut être amené à dépister un trouble chez un étudiant et, par la suite, à le référer pour une évaluation complète chez un spécialiste.

À Polytechnique Montréal, je travaille comme conseillère aux étudiants en situation de handicap, mais j’offre aussi un suivi orthopédagogique. Une soixantaine d’étudiants sont suivis au Soutien aux étudiants en situation de handicap de l’École par trimestre. Quelques-uns nous consultent pour des besoins temporaires (par exemple des doigts fracturés), d’autres présentent des handicaps dits « traditionnels » (déficiences motrice, sensorielle et organique), mais la majorité, c’est-à-dire plus des trois quarts font partie de la population émergente. Les exigences élevées des programmes, l’horaire chargé, les règlements de l’École, vous devinerez que le défi se présente à eux dès le premier trimestre. Malgré tout, certains décident de ne pas divulguer leur situation, entre autres, car ils ne veulent plus subir les préjugés associés à un handicap non visible et, dans le fond, selon eux, que « tout allait bien au cégep ». Nous les retrouvons habituellement après un ou deux trimestres ardus. La montagne leur semble haute à gravir, mais, avec de bonnes bottes et un bagage bien rempli, ils peuvent y arriver. Voici ce qui m’amène à vous expliquer la complémentarité de mes deux rôles.

Complémentarité de l’orthopédagogie avec le rôle de conseiller aux étudiants en situation de handicap

Au niveau collégial comme à l’université, l’étudiant en situation de handicap consulte un conseiller (le nom qu’on lui attribue varie dans les différents établissements) afin d’obtenir du soutien. Le conseiller évalue les besoins de l’étudiant et met en place les accommodements nécessaires : accompagnement, temps supplémentaire aux examens, etc. Le soutien scolaire est une des formules d’aide offertes, qu’il le soit sous forme de tutorat, d’accompagnement scolaire ou de suivi orthopédagogique. Vous devinerez que c’est entre autres ici que l’orthopédagogie entre en jeu.

Les interventions orthopédagogiques complètent les accommodements mis en place pour un étudiant, même qu’elles les optimisent. Prenons l’exemple d’un étudiant dyslexique qui bénéficie de temps supplémentaire en situation d’évaluation, car il lit et écrit plus lentement que ses collègues de classe : cet accommodement fait en sorte que cet étudiant, en situation de handicap, bénéficie d’une occasion équitable de pouvoir respecter les exigences de son programme d’études. Par ailleurs, s’il ne gère pas adéquatement son temps aux examens et qu’il a tendance à angoisser (parce qu’il pense à ses échecs précédents) au lieu de répondre aux questions de l’examen, le temps supplémentaire n’y pourra rien.

En lui proposant diverses stratégies d’autorégulation, par exemple de gestion du temps et des ressources, et en lui démontrant leur utilité, l’étudiant apprendra à les intégrer en période d’examen. Il ne lira pas nécessairement plus vite, mais il réussira à terminer son examen, et ce, en répondant adéquatement aux questions. Précisons que tout suivi, rencontre ou mise en place d’accommodement vise à développer l’autonomie de l’étudiant. Le conseiller épaule l’étudiant dans son cheminement et il le guide vers sa vie professionnelle. Ainsi, toute situation avec un étudiant, qu’il nous rencontre pour ses accommodements ou parce qu’il veut nous poser une simple question, devient un terreau fertile à des interventions orthopédagogiques qui visent à le responsabiliser. L’organisation des examens en est un bon exemple. Un étudiant qui bénéficie de temps supplémentaire aux examens doit remplir un formulaire en ligne pour nous aviser des examens que nous devons organiser ; s’il ne respecte pas cette tâche, il ne pourra bénéficier du temps supplémentaire. Donc, s’il oublie fréquemment de remplir le formulaire, l’intervention devient nécessaire. Il possède un cellulaire intelligent? On lui explique comment fonctionne l’agenda et il recevra des rappels sur un air d’un chanteur connu. Puis, si on se rend compte que sa gestion du temps fait défaut, on en profite pour en discuter avec lui : sur le marché du travail, ces stratégies se doivent d’être maîtrisées.

Lignes directrices

Voici le moment venu de partager avec vous ma vision de l’orthopédagogie auprès d’étudiants adultes. Tout d’abord, je tiens à préciser l’importance de discerner les besoins réels et prioritaires d’un étudiant en l’évaluant. Pour ce faire, plusieurs moyens et outils sont à notre disposition : questionnaires, grilles d’observation, impressions des collègues, etc. L’étudiant qui se connaît bien devient une source précieuse d’information, mais il faut aussi lire entre les lignes.

La mise en évidence de certains besoins ne nous sera utile que si nous nous attardons également aux caractéristiques de l’étudiant, à ses forces et faiblesses. À ce stade, il est toujours intéressant de consigner toutes ces données dans un plan d’action ou un plan d’intervention. L’étudiant participe activement à cette étape, car on vise à développer sa prise en charge de ses objectifs d’apprentissage. De cette façon, de part et d’autre de la relation entre l’orthopédagogue et l’étudiant, on s’assure d’investir du temps et des énergies dans des objectifs réalistes, mesurables et qui tiennent compte des caractéristiques de l’étudiant. L’avantage d’un suivi fréquent? L’étudiant n’a pas l’impression de devoir changer le sort du monde en entier parce qu’il se fixe trop de nouveaux défis en même temps. Quand l’étudiant se concentre sur un ou deux objectifs à la fois

  • N’oublions pas que ses autres tâches sont nombreuses – il se sent plus compétent, en contrôle et les défis qu’il relève ont de la valeur à ses yeux. Nous avons ici une des clés de la motivation scolaire et, même, de la motivation en général. Qui d’entre vous ne s’est jamais découragé en voulant modifier du jour au lendemain son enseignement ou devant de multiples résolutions du Nouvel An?

Puis, comme je le dis toujours à la blague, il n’y a que des avantages à intervenir auprès d’adultes. D’abord, ils sont conscients des phénomènes qui régissent leurs apprentissages. Si un étudiant désire parfaire ses techniques d’étude, je peux certainement l’aider. Mais, pour m’assurer qu’il utilise adéquatement la stratégie et qu’il en saisisse bien la pertinence, je vais aussi lui expliquer ce qui en sous-tend l’utilisation. De cette manière, je vise à répondre aux trois grands principes de l’enseignement explicite : explication de la stratégie, sa motivation et sa mise en pratique. Les étudiants comprendront que les stratégies d’organisation des connaissances (par exemple une carte conceptuelle) s’avèrent efficaces pour l’encodage dans la mémoire à long terme parce qu’ils connaissent le fonctionnement du traitement de l’information dans le cerveau.

De plus, l’engagement des étudiants dans leurs études est intimement relié à l’entrée sur le marché du travail ou à la réussite d’un diplôme d’une grande valeur à leurs yeux. À ce sujet, le milieu dans lequel on travaille teinte nos interventions. Je me référerai à ce que je connais pour vous l’illustrer. À Polytechnique Montréal, les étudiants suivent plusieurs heures de cours et de laboratoire par trimestre en plus des devoirs et de l’étude. Les stratégies de gestion du temps sont tout indiquées pour survivre, mais, tant qu’elles n’ont pas fait leurs preuves, les étudiants ne sont pas enclins à réserver une heure de leur temps pour me rencontrer ! D’où l’importance de lier mes interventions à leur réalité : aborder le futur milieu de travail, les cours suivis, leurs intérêts et leurs expériences personnelles.

Soutenir les étudiants sous d’autres dimensions

Dans les paragraphes qui précèdent, je n’ai exploré qu’une facette de l’orthopédagogie en milieu postsecondaire : le soutien direct à l’étudiant en vue d’enrichir son répertoire de stratégies. À l’image des nombreux praticiens dans une école, l’orthopédagogue aux études postsecondaires collabore également avec différentes personnes, toujours en ayant comme objectif de soutenir les étudiants. Ce soutien indirect s’observe dans un partage de pratiques, d’informations avec un collègue, dans des réunions avec d’autres services, dans la formation continue. De plus, il offre un soutien aux professeurs. Ainsi, il peut répondre aux questions des professeurs sur les accommodements ou les aider à guider les étudiants dans leurs apprentissages. Puis, de la même manière que l’orthopédagogue au primaire ou au secondaire, il est parfois amené à enseigner, par exemple en animant des ateliers ou en participant à un projet de tutorat dans une matière spécifique. Il existe autant de possibilités pour l’orthopédagogue de soutenir l’apprentissage qu’il existe de façons d’apprendre.

En conclusion, un petit clin d’œil au populaire article de Michel Saint-Onge: Moi, j’interviens, mais eux, apprennent-ils?   Il va sans dire que nous nous posons tous la question. En développant un lien de confiance avec les étudiants, ils se sentent bien entourés et savent qu’ils peuvent compter sur une personne qui écoute et qui conseille au bon moment. C’est la base de la relation d’aide. Dans le fond, l’être humain apprend à tous les instants : les étudiants n’apprennent pas toujours exactement ce qu’on leur enseigne, mais je suis convaincue qu’ils en apprennent sur eux-mêmes et sur leur vision de la réussite.

Vous désirez approfondir votre réflexion sur le sujet ? Voici quelques pistes qui sauront vous guider.

Barbeau, D., Montini, A., & Roy, C. (1997). Tracer les chemins de la connaissance. Montréal, Québec : Éditions de l’A.Q.P.C.

Cartier, S. (2000). « Enseigner les stratégies d’apprentissage aux élèves du collégial pour que leur français se porte mieux ». Correspondances, 5 (3). Repéré à http://www.ccdmd.qc.ca/correspo/Corr5-3/Cartier.html.

Ruph, F. (2011). Guide de réflexion sur les stratégies d’apprentissage à l’université. Québec, Québec: Presses de l’Université du Québec.

Viau, R. (2000). « Des conditions à respecter pour susciter la motivation des élèves ». Correspondances, 5 (3). Repéré à http://www.ccdmd.qc.ca/correspo/Corr5-3/Viau.htm

Vienneau, R. (2011). Apprentissage et enseignement (2e édition). Montréal, Québec: Gaétan Morin Éditeur.