19 novembre 2014

Refuser ou choisir de prendre sa pilule : une interrogation pertinente.

Marie Ducharme, c.o. et conseillère, accueil et soutien aux étudiants en situation de handicap de l’UQAM

La recherche, la littérature scientifique, plusieurs organismes ainsi qu’un large public observent l’augmentation des prescriptions de médicaments psychotropes. Le Ritalin®, nom commercial du méthylphénidate, est un stimulant grandement utilisé comme traitement pour le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) autant chez l’enfant que chez l’adulte : son usage croissant suscite des questionnements tout autant au sein de la population en général que dans le monde médical.

 

Le 29 janvier 2014, un article du quotidien Le Devoir soulignait que « la prescription de médicaments pour traiter le déficit de l’attention était en hausse de 70 % et que cette augmentation avait eu lieu dans une courte période, soit de 2004 à 2011 ». On y mentionnait également qu’un rapport de la Commission à la santé et au bien-être, rendu public en 2012, déplorait le manque de solutions de rechange à la médication en matière de santé mentale : « Les médicaments psychotropes sont bien souvent la seule option que sont en mesure de proposer les omnipraticiens aux usagers en détresse psychologique se présentant à leur clinique ». Dans notre pratique, nous rencontrons des étudiants qui sont ambivalents face à la prise de cette médication : ils se questionnent sur la pertinence, l’efficacité, les effets secondaires ainsi que sur des moyens alternatifs.

 

Ces questions sont légitimes autant face aux recherches scientifiques qu’aux controverses soulevées par les médias. L’augmentation dans nos services de cas d’étudiants ayant un TDA/H justifie que nous nous penchions sur la question de la consommation du Ritalin®. Il s’agit simplement de nous rappeler « qu’en 2012-2013, les étudiants présentant un trouble de santé mentale ou un déficit neurocognitif constituaient, toujours selon l’AQICESH, plus de 65 % de la population ayant contacté les services responsables des étudiants en situation de handicap des institutions universitaires québécoises » et que le TDA/H a été répertorié comme faisant partie des déficits neurocognitifs[1]. Le TDAH est un problème neurologique sévère et persistant qui se développe dès l’enfance et qui peut se poursuivre à l’âge adulte. Les médecins savent maintenant que dans 50 % à 70 % des cas, les symptômes persistent jusqu’à l’âge adulte[2].

 

Dans l’article sur le Trouble déficitaire de l’attention à l’université, paru dans la Revue internationale de pédagogie de l’enseignement supérieur, numéro 26-2 (2010), mesdames France Landry et Georgette Goupil nous rappellent les défis que doivent relever les étudiants universitaires en général. Outre qu’ils doivent développer plus d’autonomie et prendre davantage leur apprentissage en charge, la structure de l’enseignement sollicite plusieurs habiletés cognitives de haut niveau, entre autres, l’organisation, la planification et l’effort mental soutenu, habiletés qui semblent être affectées chez l’étudiant ayant un TDA/H. Toutefois, les auteurs soulignent que des opinions divergent quant à l’influence négative du TDA/H sur la performance universitaire.

 

L’utilisation de psychostimulants permet d’améliorer de façon significative les symptômes du TDA/H : l’hyperactivité, l’impulsivité et l’inattention[3]. Il existe toutefois des effets secondaires indéniables qui méritent d’être soulignés :

  • L’augmentation de l’hyperactivité, de l’énergie motrice et de l’initiative, et ce, de façon désordonnée et souvent, par conséquent, peu productive ;
  • Les troubles du sommeil et de l’anxiété pouvant mener à des états paranoïdes ;
  • La nervosité, des palpitations, de l’irritabilité, de l’agressivité et l’exacerbation des tics ;
  • La perte d’appétit, la perte de poids et parfois, un ralentissement de la croissance ;
  • Une mort subite qui pourrait résulter de problèmes cardiaques préexistants méconnus ou pouvant être causée par un effet dopaminergique néfaste sur la régulation du système cardiorespiratoire.

 

Finalement, on ne peut passer sous silence le problème de la dépendance physique. L’utilisation de ce médicament ne semble pas faire disparaître le problème et lorsqu’il y a sevrage, un des symptômes les plus courants à apparaître est le syndrome dépressif. On remarque d’ailleurs que des enfants qui sont d’abord traités pour un TDA/H seront par la suite traités pour une dépression. Des études sur la prise du médicament à long terme montrent que certains enfants traités avec des stimulants risquaient de développer plus tard une consommation excessive de stimulants ou d’autres drogues illicites[4].

 

Il semble n’y avoir aucun doute, à la lumière des essais cliniques, que les psychostimulants comme le Ritalin® sont susceptibles d’induire des modifications comportementales très nettes. « La médication agit un peu comme une paire de lunettes biologiques permettant d’améliorer la capacité du cerveau à faire le focus. Elle favorise une meilleure transmission de l’information », résume, sur son site Web, la Dre Annick Vincent, psychiatre et auteure de livres à succès sur le TDAH et l’usage des psychostimulants faisant partie du traitement[5].

 

Le Dr Larbrisseau, pédiatre-neurologue à l’Hôpital Sainte- Justine et professeur titulaire de clinique de l’Université de Montréal, affirme dans un article publié le 3 mars 2004 dans la revue L’actualité médicale : « Le Ritalin®, c’est le médicament le plus bénin » et il ajoute que lorsque «…les critères diagnostiques sont bien établis et qu’ils sont nuisibles, un essai thérapeutique est indiqué. Dans 80 % des cas, l’usage du Ritalin® est favorable ». Comment explique-t-il la polémique autour du Ritalin® ? Le médecin met la faute sur les médias qui sèmeraient la panique et qui créeraient des remous dans les familles et les écoles.

 

Pour d’autres spécialistes, les effets bénéfiques à long terme sur les performances sociales et scolaires sont très discutables[6] bien que le Ritalin® améliore les trois symptômes cardinaux du TDAH et permette de rester plus longtemps éveillé, de se concentrer plus facilement et d’améliorer la mémoire[7]. L’objectif souhaité, qui est d’améliorer la performance scolaire, n’est pas atteint et nous continuons tout de même à prescrire toujours plus cette médication.

 

L’importance de faire un bon diagnostic semble faire l’unanimité. Toutefois, les conditions dans lesquelles le diagnostic est posé sont cruciales afin de prescrire le bon médicament. Mais quelles sont ces conditions ? Selon l’enquête de Santé Canada menée en 1999, la majorité des médecins ont affirmé que les critères diagnostiques du DSM-IV auquel ils se référaient pour établir un diagnostic étaient trop vagues[8].

 

En mai dernier, le DSM-IV a fait place au DSM-V. Les 18 symptômes utilisés pour établir un diagnostic de TDAH sont demeurés les mêmes. La seule modification d’importance établit maintenant que « plusieurs symptômes d’inattention ou d’hyperactivité/impulsivité étaient présents avant l’âge de 12 ans », plutôt que la condition du DSM-IV qui mentionnait que : « les symptômes qui causaient l’incapacité étaient présents avant l’âge de 7 ans[9]». Les médecins n’y trouveront donc pas plus de précisions pour établir un diagnostic.

 

Selon la même enquête de Santé Canada, d’autres raisons qui ont entraîné une augmentation de l’utilisation du Ritalin® ont été invoquées et méritent réflexion :

 

  • Une grande sensibilisation de la population (86 %)
  • Les pressions pour administrer le médicament (76%)
  • L’acceptation du médicament (70 %)
  • L’absence d’autres moyens de traitement (68 %)
  • Le manque de discipline à la maison (55 %)
  • Le manque de temps pour utiliser d’autres traitements (55 %)

Fait encore plus troublant, l’innocuité du Ritalin® et son efficacité sont peu évoquées. De plus, s’y ajoute le constat que le diagnostic est posé dans la majorité des cas par le médecin de famille à la suite d’une rencontre avec le patient et la famille (93 %) et de l’observation effectuée dans le cabinet du médecin (71 %). Toutefois, la situation réelle à l’extérieur du cabinet du médecin peut s’avérer toute autre.

 

En 2000, dans un plan d’action conjoint des ministères de l’Éducation et de la Santé et des Services sociaux pour soutenir les jeunes ayant un TDA/H[10], on pouvait y lire, entre autres, que les médecins passaient en moyenne 69 minutes avec le patient pour établir un diagnostic de TDA/H. Il demeure donc que le flou entourant les critères du DSM-V sur le TDAH ainsi que les constats entourant les conditions dans lesquelles le médecin prescrit le médicament fragilisent la justesse du traitement pharmacologique. « Le TDAH n’est pas une maladie, mais une simple étiquette apposée sur une foule de comportements chez des enfants jugés trop turbulents », estime David Cohen, professeur au Public Health and Social Work College de l’Université Internationale de Floride. Cet ex-directeur du Groupe de recherche sur les aspects sociaux de la santé et de la prévention (GRASP) à l’Université de Montréal voit aussi dans le trouble d’attention « une leçon d’histoire » : « La société occidentale du XIXe siècle, vouée à l’utopie du progrès matériel, faisait travailler les enfants pauvres dans ses usines. Aujourd’hui, les croyants de l’utopie de la performance veulent s’assurer que les enfants sont “performants”. La première mode est passée, non sans avoir causé des ravages. La seconde passera aussi.[11]»

 

Pour sa part, le Dr Larbrisseau affirme que les médecins disposent des outils nécessaires pour poser un diagnostic précis de TDAH. Il souligne l’importance d’utiliser les questionnaires[12] qui se retrouvent dans les Lignes directrices canadiennes sur le TDAH de CADDRA (Canadian ADHR Resource Alliance), une association qui propose des outils qui semblent être privilégiés par les médecins. Questionné sur les effets du Ritalin® sur la croissance et le développement de l’enfant causés par la perte d’appétit, le Dr Larbrisseau souligne que ce phénomène n’est attribué qu’entre 5 et 10 % des cas où il a été observé que la courbe de croissance modifiée était présente en même temps qu’un manque d’investissement à pallier ce problème par une réorganisation familiale. D’autre part, dans un avis publié en 2006, Santé Canada déconseillait d’administrer des médicaments pour le TDA/H à des patients souffrant de troubles cardiaques, d’hypertension artérielle (même modérée), d’artériosclérose à un stade avancé ou d’hyperthyroïdie. À des doses usuelles, la méthylphénidate peut induire, chez un petit nombre d’enfants, des hallucinations visuelles et tactiles, prenant la forme d’insectes, de serpents ou de vers, par exemple.

 

« En 2009, la Commission européenne a demandé à Novartis (Ritalin®), Johnson & Johnson (Concerta) et trois autres fabricants de psychostimulants de conduire des études sur les effets secondaires à long terme du méthylphénidate. Leur réponse ? « Nous estimons qu’une étude scientifique de bonne qualité et d ’ampleur suffisante (…) n’est pas réalisable[13] »».

 

Dans le livre Troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité : soigner, éduquer et surtout valoriser, les auteurs qui proposent des interventions qui semblent porter leurs fruits rapportent un constat très révélateur : « Plusieurs résultats de recherche permettent d’avancer que l’approche multimodale est plus efficace sur l’ensemble “symptômes-autorégulation-apprentissage de stratégies cognitives et comportementale” que la médication seule, les thérapies cognitivo-comportementales seules, les interventions psychosociales seules et les autres traitements dits alternatifs (homéopathie, acupuncture, biorétroaction EMG, etc.).[14] [MTA Cooperative Group, 2004, Barkley et al. 2002, Conners, 2001,

Arnold, 1999].

 

Ainsi, selon la vaste étude américaine MTA (Multidimensional Treatment of ADHD), les symptômes cliniques du TDAH chez les jeunes sont améliorés par la pharmacothérapie seule rigoureusement appliquée. On pourrait penser que le traitement multimodal n’offrirait donc pas d’avantages supérieurs à la pharmacothérapie seule. Toutefois, dès que les effets de la médication s’estompent, les symptômes cliniques réapparaissent à leur niveau initial. La médication seule ne permet donc pas aux jeunes présentant un TDAH d’apprendre à développer leur capacité d’attention, ni à autoréguler leurs comportements d’hyperactivité-impulsivité, ce que permettrait l’intervention multimodale. Il est avancé que la médication améliore de façon décisive l’efficacité des interventions psychosociales, ces dernières contribuant, par leurs effets à maintenir la médication à une posologie minimale.[15] »

 

Les controverses et expertises entourant l’utilisation du Ritalin® semblent tout à fait déroutantes et, pour ces raisons, son utilisation unique pour traiter le TDA/H l’est tout autant. Les questionnements des étudiants adultes sont donc justifiés. Dans ce contexte, nos échanges avec l’étudiant doivent user de prudence sur cette question et respecter son expérience subjective face à la médication. L’importance d’insister auprès de l’étudiant pour qu’il se documente suffisamment sur le médicament et qu’il ait accès à un suivi médical adéquat est essentielle. Cette démarche responsable peut permettre d’éviter que l’utilisation du médicament amène un désengagement médical, scolaire et social et un faux sentiment de contrôle face à des comportements qui ne correspondent pas aux normes, ces dernières pouvant fluctuer selon les époques et les contextes, comme le soutient M. Cohen.

 

Nous pouvons donc concentrer nos services et nos interventions autour des besoins de l’étudiant et non pas sur son trouble, afin de construire des modèles de réussite significatifs. Dans cette optique, nous nous inscrivons dans l’approche par besoins du Modèle d’organisation des services aux étudiantes et étudiants ayant un trouble d’apprentissage, un trouble mental ou un trouble de déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité préconisé par le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et de la Technologie. Il s’agit de se pencher, non seulement sur les incapacités de l’étudiant, mais davantage sur ses forces, ses aptitudes, ainsi que sur les ressources existantes dans son milieu et sur lesquelles il pourrait s’appuyer. Ces actions permettent de développer un sentiment d’efficacité personnelle (SEP), c’est-à-dire la croyance en ses propres capacités à atteindre des objectifs. Une personne ayant un sentiment d’efficacité plus élevé aura tendance à s’engager, à entreprendre, à s’informer et à s’autodéterminer, tandis qu’une personne qui en ressent moins sera au contraire, habitée par des sentiments d’impuissance, voire de découragement. Bandura souligne que le SEP joue un rôle clé dans la poursuite d’études et dans la carrière professionnelle.[16]

 

La prise d’un médicament qui permet, tout au plus, de diminuer certains symptômes diffus et qui comporte un risque de conséquences possiblement néfastes sur la santé et qui n’améliore en rien le sentiment d’efficacité personnelle de l’étudiant, sinon qu’il lui affuble une étiquette de malade et d’inadapté au système, devrait nous amener à nous interroger ainsi que la société en général, sur ce que nous voulons léguer à nos professionnels de demain.

[1] Tremblay, Stéphanie, « Un gage de réussite pour les étudiants : La collaboration universités-collèges se poursuit. Nouveau projet de collaboration universitéscollège :: les Applications pédagogiques de la conception universelle de l’apprentissage. », Bulletin de l’AQICESH, numéro 9, automne 2013

[2] LAJOIE, France, « Dossier. Hyperactivité : bilan et perspectives. Hyperactivité ou hyperintolérance ? Des lignes directrices trop vaques au goût des cliniciens », L’actualité médicale, Le journal du médecin, Montréal, MedActuel, mars 2004, pages 8, 9, 12, 13, 16, 17, 20, 21 et 22

[3] GOSSELIN, M.D., CSPQ, FRCPC-EM, « Le méthylphénidate chez les adultes : effets indésirables sous-estimés ? », Centre antipoison du Québec, 11 octobre 2011

[4] HEALY, David, Les médicaments psychiatriques démystifiés, Elsevier Masson SAS, 2009, page 130

[5] MAILLARD, Rémi, « Génération Ritalin® », Protégez-vous.ca, août 2010, Québec.

[6] HEALY, David, Les médicaments psychiatriques démystifiés, Elsevier Masson SAS, 2009, pages 127-128.

[7] DION-VIENS, Daphnée, « Du Ritalin® pour mieux étudier : attention, danger ! » http://www.Lapresse.ca/le-soleil/actualites/sante/200812/07/01.

[8] LAJOIE, France, « Dossier. Hyperactivité : bilan et perspectives. Hyperactivité ou hyperintolérance ? Des lignes directrices trop vaques au goût des cliniciens », L’actualité médicale, Le journal du médecin, Montréal, MedActuel, mars 2004, pages 8, 9, 12, 13, 16, 17, 20, 21 et 22.

[9] GROHOL, J., “DSM-5 Changes : Attention Deficit Hyperactivity Disorder (ADHD)”, Psych Central, Repéré le 30 novembre 2013, traduction libre par Marie-Marthe Lebel, http://pro.psychcentral.com/2013/dsm-5-changes-attention-deficit-hyperactivity-disorder-adhd/004321.html.

[10] LAJOIE, France, « Dossier. Hyperactivité : bilan et perspectives. Hyperactivité ou hyperintolérance ? Troubles de déficit d’attention, les médecins sont mal outillés pour bien diagnostiquer les enfants », L’actualité médicale, Le journal du médecin, Montréal, MedActuel, mars 2004, pages 8, 9, 12, 13, 16, 17, 20, 21 et 22.

[11] MAILLARD, Rémi, « Génération Ritalin® », Protégez-vous.ca, Août 2010,

[12] LAJOIE, France, « Dossier. Hyperactivité : bilan et perspectives. Hyperactivité ou hyperintolérance, TDAH un diagnostic subjectif », L’actualité médicale, Le journal du médecin, Montréal, MedActuel, mars 2004, pages 8, 9, 12, 13, 16, 17, 20, 21 et 22

[13] MAILLARD, Rémi, « Génération Ritalin® », Protégez-vous.ca. , Août 2010, Québec

[14] [MTA Cooperative Group, 2004, Barkley et al. 2002, Conners, 2001, Arnold, 1999].

[15] LAPORTE, P. et Guay, M.-C., Programme de remédiation cognitive pour le TDAH, dans N. Chevalier, M.-C. Guay, A. Achim, P. Lagreix et H. Poissant (Éditeurs), Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité : soigner, éduquer et surtout valoriser, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2006, pages 189-205, page 190.

[16] BANDURA, A., Self-Efficacy: the Exercise of Control, New York, Freeman, 1997, pages 422, 422-425, 427 et 189.