19 mars 2019

Qu’est-ce que le capacitisme ? Quelques réflexions…

Patricia Díaz del Castillo, conseillère en ressources d’apprentissage, Services aux étudiants, Université McGill et Annie Duchesne, M.A., coordonnatrice aux Services aux étudiants et responsable du Service d'aide pour besoins particuliers, Université du Québec à Rimouski

Lors de notre dernière formation, nous avons parlé brièvement du capacitisme, mais, comment se manifeste-t-il dans notre société ? Commençons par le début.

 

Le mot capacitisme existe dans le dictionnaire anglais Oxford. En fait, c’est un mot qui est utilisé depuis au moins 30 ans. D’après le dictionnaire, ableism, « c’est l’oppression systématique d’un groupe de personnes dû à ce que les personnes peuvent ou ne peuvent pas faire avec leur corps et leur esprit, étant le résultat de l’ignorance ». Une deuxième définition du même dictionnaire fait référence à « la discrimination » en faveur de l’able-bodied people. Il n’y a pas de mot équivalent dans le dictionnaire français ni dans le « Diccionario de la Real Lengua Española » en espagnol pour le mot capacitisme. Laura Smith (2008), dans son article Addressing Classism, Ableism, and Heterosexism in Counselor Education, définit le capacitisme comme « une forme de discrimination ou de préjugés à l’égard d’individus présentant des déficiences physiques, mentales ou développementales caractérisée par la conviction que ces individus doivent être réparés ou ne peuvent pas fonctionner comme des membres à part entière de la société (Castañeda & Peters, 2000).

 

En raison de ces hypothèses, les personnes en situation de handicap sont généralement considérées comme anormales et non comme faisant partie d’une communauté minoritaire distincte (Olkin et Pledger, 2003; Reid et Knight, 2006) ». Thomas Hehir indique que le capacitisme résulte de comportements sociétaux qui affirment, sans discernement, qu’il est préférable pour un enfant de marcher que de rouler, de parler au lieu d’utiliser le langage des signes, de lire un livre en papier que de lire en braille, d’épeler de façon indépendante que d’utiliser un correcteur orthographique, et de fréquenter des enfants dits « normaux » que ceux qui se trouvent en situation de handicap. Scuro (2018) suggère que le capacitisme est un biais idéologique systématique qui doit être identifié comme une forme d’oppression tels le sexisme, le racisme, le classisme ou l’hétéronormativisme, entre autres.

 

Voici quelques exemples de situations pertinentes pour illustrer des manifestations du capacitisme :

 

Le capacitisme peut être exprimé de différentes façons, d’une manière intentionnelle ou non.

  • Par exemple, Élection Canada a été poursuivi parce qu’une personne en fauteuil roulant n’a pas pu entrer dans le bâtiment où elle voulait exercer son droit de vote alors que l’établissement n’était pas accessible. Dans ce cas, Élection Canada supposait que toutes les personnes étaient capables (ablebodied): que la seule façon par laquelle une personne puisse se déplacer est avec ses jambes au lieu de réaliser que plusieurs personnes peuvent aussi se déplacer en fauteuil roulant. Avant cet évènement, le Québec possédait déjà des lois traitant d’accessibilité universelle.
  • En concevant des sites Web qui ne sont pas accessibles universellement, les concepteurs font preuve de capacitisme parce qu’ils ne pensent pas aux personnes ayant une basse vision ou réduite. Les excluant ainsi de l’accès à l’information supposant que l’être humain est voyant à 100 %.
  • Les vidéos qui sont faites pour promouvoir des services à la télévision et qui n’ont pas de sous-titrage excluent les personnes qui sont malentendantes. Encore une fois, la cible est pour des personnes « capables » d’entendre, en discriminant un groupe qui communique d’une autre façon.
  • Le langage décrit la façon de penser d’une personne. Quand par exemple une professeure, un professeur ou une personne chargée de cours du niveau collégial ou universitaire dit que c’est impossible pour elle ou lui d’avoir « des étudiantes et des étudiants handicapés » dans sa salle de classe. C’est une indication que cette personne pense que les ESH sont incapables de poursuivre une éducation postsecondaire.
  • L’attitude et la considération apportées à une personne peuvent varier en fonction de l’information obtenue. Un désintérêt soudain par exemple lorsque la personne mentionne au téléphone qu’elle se déplace en fauteuil roulant et qu’elle demande de l’information à un courtier immobilier ou à un établissement financier pour effectuer un prêt hypothécaire.
  • Est-ce que nous avons une population représentative d’ESH dans nos universités ? Dans les universités aux États-Unis, les ESH sont sous-représentés sur leurs campus et, pourtant, surreprésentés dans des films populaires sur la vie aux collèges (Dolmage, 2017).

 

Il est nécessaire de comprendre qu’une personne en situation de handicap qui est bien outillée peut très bien performer au même titre que les autres. Le tout est dans l’ouverture d’esprit et la collaboration.

 

« Tout le monde est un génie, mais si vous jugez un poisson sur ses capacités à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide ». Albert Einstein

 

Avez-vous, dans votre entourage, des personnes qui pensent que le travail réalisé auprès des étudiantes et étudiants en situation de handicap est « digne »? Nous oui, mais il est important de préciser que notre travail n’est pas de la charité humaine. Nous mettons en place les mesures permettant de donner accès aux ESH à une formation académique afin qu’ils fassent partie intégrante de notre société et que nous célébrions la diversité, contrairement aux modèles médicaux où les personnes doivent être « réparées » si elles veulent participer dans une société dite « normal ». Les ESH apportent une autre dimension à la notion de la différence.

 

Nous terminerons avec une citation qui reflète bien l’importance d’une pleine intégration synonyme de complémentarité : Si tu diffères de moi, loin de me léser, tu m’enrichis. Saint-Exupéry

 

 

Bibliographie

Dolmage, J. (2017). Academic ableism: Disability and higher education (Corporealities). Ann Arbor: University of Michigan Press. (2017). Retrieved March 1, 2019, from McGill University.

 

Hehir, T. (2002). Eliminating Ableism in Education. Harvard Educational Review: April 2002, Vol. 72, No. 1, pp. 1-33.

 

Scuro, J., Reynolds, J., Havis, D. & Brown, L. (2018). Addressing ableism: Philosophical questions via disability studies. Lanham, Maryland: Lexington Books.

Smith, L., Foley, P. & Chaney, M. (2008) “Addressing Classism, Ableism, and Heterosexism in Counselor Education”, Journal of Counseling & Development, Volume 86, pp 303-309.