Qu’est-ce qui facilite le parcours à la maîtrise et au doctorat des personnes étudiantes en situation de handicap émergent ? Comment s’assurer que les ressources, les politiques et programmes qui leur sont destinés soient utilisés ? Un article de Mariata Sall, France Picard et Annie Pilote, de l’Université Laval, offre quelques pistes de réponses à ces questions.

Situation de handicap émergent
Les troubles de l’apprentissage, de l’attention, du développement et de santé mentale sont considérés comme des handicaps émergents.

Les étudiantes et étudiants en situation de handicap émergent (ESHE) sont de plus en plus nombreux en enseignement supérieur, leur proportion dans les universités canadiennes étant passée de 5% à 27% entre 2012 et 2021. Au Québec, leur nombre est passé de près de 2 500 en 2010 à plus de 16 000 en 2020 (Consortium canadien de recherche sur les étudiants universitaires, 2021; Gagné et Bussières, 2020 dans Sall, Picard et Pilote, 2023).

Les facteurs de conversion favorables et défavorables

Pour mieux identifier ce qui contribue ou nuit aux ESHE durant leur maîtrise et leur doctorat, la recherche s’appuie sur l’approche par les capabilités de Sen (2000), une théorie de la justice sociale selon laquelle « les ressources (p. ex., les mesures d’aide) ne sont mobilisables et convertibles en accomplissements (p. ex., cheminement d’études conforme aux aspirations, réussite universitaire, obtention de diplôme) qu’en présence de facteurs de conversion favorables » (Sen, 2000 dans Sall, Picard et Pilote, 2023).

Les facteurs de conversion peuvent être positifs (ils agissent comme des leviers) ou négatifs (ils agissent comme des obstacles).

Pour identifier les facteurs de conversion liés à l’environnement universitaire et à celui des bureaux d’accueil et de soutien aux étudiants en situation de handicap (BACSESH), les chercheuses ont réalisé des entretiens avec 27 ESHE inscrits dans un programme de maîtrise ou de doctorat d’une même université. Ces entretiens ont porté sur :

  • Les récits et les expériences durant le parcours scolaire
  • Les obstacles, les possibilités et les leviers rencontrés
  • Les ressources et les services (utilisés ou non), offerts par le BACSESH ou accessibles à toutes les personnes étudiantes

Le soutien de personnes clé : une aide essentielle

L’analyse des propos recueillis montre que la direction de recherche, le corps professoral et les intervenants et intervenantes du BACSESH jouent un rôle crucial durant le parcours universitaire, agissant ainsi comme facteur de conversion favorable.

  • Les personnes interrogées ont mentionné que leur direction de recherche avait facilité l’accès aux ressources financières (ex. préparation de demande de bourses, repérage de sources de financement, octroi de ressources financières).
  • Les personnes répondantes ont aussi relevé que la direction de recherche, le corps professoral et les personnes chargées de cours peuvent jouer un rôle important en orientant les personnes étudiantes vers les bonnes ressources et en offrant les accommodements préconisés par le BACSESH.
  • Enfin, le personnel du BACSESH est reconnu comme jouant un rôle majeur dans le parcours de ESHE grâce aux ressources, aux accommodements et à l’accompagnement qu’il leur offre.

Le manque de flexibilité : un obstacle au parcours d’études et à l’accès aux ressources

À l’inverse, le cadre règlementaire, les contraintes d’accès aux mesures d’aide et d’accommodement, de même que l’inadéquation de ces mesures avec les besoins des ESHE, constituent des obstacles dans le parcours de formation.

  • Les conditions d’accès aux programmes (ex. moyenne générale requise) ou le manque de flexibilité des cheminements (ex. obligation d’être à temps plein) sont apparus comme des facteurs de conversion négatifs dans près du tiers des parcours documentés. En plus de nuire à l’accessibilité aux études, ces conditions restrictives peuvent décourager certains ESHE de déclarer leur situation de handicap ou d’utiliser les ressources adaptées, par crainte de vivre de la discrimination.
  • La procédure de reconnaissance du handicap, nécessaire pour accéder aux services et aux accommodements, a été décrite comme un « parcours du combattant » par plusieurs personnes répondantes. L’exigence de présenter un diagnostic récent (et les délais pour l’obtenir) semble nuire considérablement à l’accès aux services et aux ressources.
  • Le manque de personnel au BACSESH et la faible diversité des mesures d’accompagnement proposées est nommé par 5 personnes. Ces dernières ont notamment déploré le manque de psychologue et les délais d’attente importants que cela occasionne. Pour d’autres personnes répondantes, c’est l’inadéquation entre les mesures d’accommodement proposées et les besoins qui est problématique.

Connaître les obstacles pour les éviter

Selon les chercheuses, ces résultats montrent qu’offrir des services et du soutien aux ESHE ne suffit pas : les établissements d’enseignement doivent s’interroger sur les facteurs qui favorisent ou nuisent à l’utilisation des ressources proposées.

« C’est seulement en créant et en implantant des facteurs de conversion favorables et, en corollaire, en débusquant les facteurs de conversion négatifs, qu’il sera possible de rendre tangible et réelle l’utilisation des ressources universitaires développées pour la population étudiante en situation de handicap » (p.863)

Référence

Sall, M., Picard, F. et Pilote, A. (2023). Leviers et obstacles dans les cheminements universitaires à la maîtrise et au doctorat de la population étudiante en situation de handicap émergent (ESHE). Revue canadienne de l’éducation46(4), 845‑865. https://doi.org/10.53967/cje-rce.5521