19 mars 2018

Les obstacles personnels et sociaux à la recherche d’emploi vécus par les personnes ayant des incapacités motrices, visuelles et auditives

Marie Gagnon , Véronique Garcia , Normand Boucher , Université Laval

Le travail est un vecteur essentiel de participation sociale pour les personnes ayant des incapacités. Pourtant, l’accès au travail de ces dernières est souvent entravé par des obstacles physiques, psychologiques, culturels. Cet enjeu constitue d’ailleurs un sujet auquel s’intéresse de plus en plus le milieu de la recherche.

 

C’est donc dans ce contexte que le projet « Évaluation et développement de politiques visant à soutenir l’intégration et le maintien en emploi des personnes ayant des incapacités » a été mis en œuvre par une équipe de recherche multidisciplinaire. Dans une phase exploratoire, l’un de ses objectifs était de comprendre et de documenter les expériences vécues par les personnes ayant des incapacités en contexte de travail régulier: en emploi et en recherche d’emploi.

 

La collecte de données a donc été menée entre avril et août 2017 auprès de 42 personnes présentant des incapacités motrices (n=21; 50%), visuelles (n=12; 29%) ou auditives (n=9; 21%). Celles-ci ont alors fait l’objet d’entrevues réalisées en personne dans la région de la Capitale-Nationale (n=17; 40%) et dans la grande région de Montréal (n=25; 60%). Au cours de cette période, 27 des participants recrutés (64%) se trouvent à l’emploi et 15 (36%) se situent en recherche d’emploi. Ce sont les principaux obstacles à la recherche d’emploi perçus par ces 15 personnes qui seront présentés dans le cadre de ce bulletin.

 

Des obstacles de nature personnelle

D’abord, les participants à la recherche évoquent régulièrement des obstacles de nature personnelle qui nuisent à leur recherche d’emploi (n=14; 93%). Parmi ceux-ci, on note d’abord un manque d’adéquation entre la scolarité, la formation ou certaines compétences de la personne et les exigences du marché du travail (n=12; 80%) :

 

« Quand on regarde les descriptions des postes, c’est une demande irréelle (sic), IRRÉELLE, parce qu’ils demandent n’importe quoi ! C’est beaucoup de tâches à remplir, beaucoup de diplômes qu’ils demandent, toujours… […] Et quand on regarde tout ce qu’il faut faire, tout ce qui est demandé à l’employé, pour la quantité de salaire… Qu’est-ce que c’est ? ! Il y a un abysse ! » (Participant 42, incapacité motrice.)

 

Les aptitudes, qui se définissent comme la possibilité pour une personne d’accomplir une activité physique ou mentale (Fougeyrollas et al., 1998), figurent comme un autre obstacle personnel majeur chez les répondants (n=12; 80%). De fait, six d’entre eux (40%) racontent vivre des difficultés motrices qui se répercutent sur la recherche d’emploi. À titre d’exemple, cette personne relate comment des problèmes au dos limitent sa recherche d’emploi :

 

« Au niveau des déplacements, c’est sûr qu’il y a le transport en commun, mais je n’irai pas me taper (sic) une heure et demie d’autobus avec une heure de métro parce que mon dos reste quand même fragile. Je ne peux pas rester debout longtemps […]. » (Participant 20, incapacité auditive et motrice.)

 

Ensuite, les aptitudes rattachées à la protection (tolérance) et à la résistance, liées à une contrainte, un effort ou un facteur de l’environnement (Fougeyrollas et al., 1998), constituent un autre obstacle à la recherche d’emploi nommé par les participants (n=6; 40%). Par exemple, cette personne explique les répercussions de son état de santé sur sa recherche d’emploi :

 

« […] il y a eu une offre […] pour un projet pour [nom de la compagnie], mais c’est moi qui n’étais pas assez en forme pour le faire. » (Participant 22, incapacité visuelle.)

 

En plus des difficultés reliées à leur condition de santé, les comportements plutôt négatifs dont ceux-ci font preuve lors de la recherche d’emploi représentent un autre facteur négatif lié aux aptitudes des personnes interrogées. En effet, huit d’entre elles (53%) décrivent avoir déjà fait preuve de découragement ou de manque d’estime de soi au cours de leur recherche d’emploi, comme l’illustre la citation suivante :

 

« Oui, le découragement, tout ça, c’est vrai qu’à un moment donné ça m’a vraiment ralentie aussi. […]. À un moment donné, je bloquais, quand j’allais à [nom de l’organisme], des fois, je pleurais dans le bureau parce que je savais plus où j’allais. » (Participant 11, incapacité motrice.)

 

En plus des aptitudes, les problèmes financiers (n=6; 40%) se posent comme une autre limite personnelle à la recherche d’emploi des participants à l’étude. Par exemple, l’un d’entre eux évoque le coût que peut entrainer la recherche d’un travail :

 

« […] c’est juste qu’un moment donné tu évalues le coût avec le bénéfice. Quand tu te dis que ça va coûter 100 $ aller-retour pour passer l’entrevue et que tu sais plus ou moins qu’est-ce que ça va donner comme résultat. » (Participant 8, incapacité visuelle et auditive.)

 

Deux personnes (13%) racontent même renoncer à certaines occasions d’emploi en raison de moyens financiers limités qui ne leur permettent pas de faire des déplacements pour une entrevue.

 

Des obstacles liés à l’environnement social

Si les facteurs personnels semblent jouer un rôle important dans la recherche d’emploi des personnes ayant des incapacités, l’environnement social est tout aussi primordial (n=14; 93%). Parmi ces facteurs environnementaux, ce sont particulièrement les organismes d’aide à la recherche d’emploi (n=11; 73%) et les attitudes négatives des employeurs (n=13, 87%) qui sont rapportés comme les obstacles les plus souvent rencontrés par les répondants. Par exemple, d’après plus de la moitié d’entre eux (9; 60%), des conseillers et des intervenants d’organismes de soutien à l’emploi font parfois preuve de manque d’écoute envers leurs besoins et leurs aspirations, comme le décrit d’ailleurs l’extrait suivant :

 

« Je voulais un travail, mais ils voulaient que je fasse autre chose […] eux autres, ils avaient ciblé les choses pour moi. Donc, ils sont gentils de m’aider, mais moi, ce n’est pas ça que je voulais. Je voulais autre chose. » (Participant 41, incapacité auditive.)

 

Du côté des employeurs, les répondants dénoncent fréquemment leurs attitudes négatives, qui peuvent nuire à l’embauche des personnes ayant des incapacités :

 

« Des fois, tu te présentes pour une entrevue, puis la personne ne veut pas te faire passer l’entrevue, parce qu’elle a “vu” que tu n’es pas capable de remplir le poste. Puis, la seule justification qu’elle a, c’est que ce n’est pas tes compétences, mais ta situation de handicap [qui, pour elle, t’empêche d’exécuter] les tâches qu’il y a à faire. » (Participant 8, incapacité visuelle et auditive.)

 

Comme le rapporte l’extrait précédent, les participants interrogés affirment que l’existence d’attitudes des employeurs découlerait fréquemment d’opinions négatives concernant les personnes ayant des incapacités (n=13; 87%). Elles se sentent d’ailleurs souvent perçues comme des travailleurs ayant moins de compétences, d’aptitudes et de productivité que les autres, même lorsque les tâches des postes convoités ne justifient pas cette dépréciation (n=10; 67%).

 

En guise de conclusion : ce qu’il faut retenir de cette recherche

Cet article témoigne de la présence des difficultés majeures rencontrées lors la recherche d’emploi chez les personnes ayant des incapacités interrogées dans le cadre de cette étude. Les obstacles personnels que les répondants ont identifiés sont : les compétences, les aptitudes (motrices, protection et résistance et comportement) et les difficultés financières. Quant aux principaux obstacles liés à l’environnement, ceux-ci sont les organismes d’aide à la recherche d’emploi et l’attitude négative des employeurs.

 

Enfin, bien que le thème des barrières à l’emploi ait été uniquement abordé ici, il est pertinent de préciser que plusieurs facteurs facilitants ont aussi été mentionnés par les répondants. Par exemple, bien que les organismes d’aide à l’emploi puissent être considérés comme des obstacles par ces derniers, ils jouent aussi le rôle d’importants facilitateurs à la recherche d’emploi pour les personnes ayant des incapacités.

 

Si vous désirez recevoir plus d’informations sur les résultats de ce projet de recherche, veuillez communiquer avec Marie Gagnon : marie.gagnon.10@ulaval.ca

 

Autres collaborateurs au projet :

 

Marie Laberge[1], Louise Duchesne[2], Charles Gaucher[3], Sylvain Letscher[4], Clermont Dionne[5]

 

[1] Centre de recherche du CHU Ste-Justine, Centre de réadaptation Marie Enfant et Université de Montréal, Faculté de médecine, École de réadaptation

[2] Centre interdisciplinaire de recherche en réadaptation et intégration sociale, Institut de réadaptation en déficience physique de Québec et Département d’orthophonie, Université du Québec à Trois-Rivières et Université Laval

[3] Université de Moncton, École de travail social

[4] Université du Québec à Rimouski, Secteur disciplinaire des sciences de l’éducation

[5] Centre de recherche du CHU de Québec et Département de réadaptation, Faculté de médecine, Université Laval