19 novembre 2014

Les défis d’une trajectoire plus fluide entre l’hôpital et les études

Émilie Bégin avec la collaboration de Martine Viallet, conseillères d’orientation au programme des troubles psychotiques, Institut universitaire de santé mentale de Montréal

Magalie a 20 ans, elle est en première année au baccalauréat en informatique à l’université. C’est sa première session, et là, elle en est à se préparer pour ses examens de fin de session. Son niveau de stress est à son plus haut, elle ne se sent pas prête pour l’examen. Elle a de la difficulté à se concentrer. Elle dort de moins en moins, en fait elle ne dort plus depuis maintenant quelques jours. Elle entend des voix lui disant qu’elle va échouer, critiquant ce qu’elle fait et puis voilà, elle qui était en plein dans sa fin de session à l’université, se retrouve dans un lit d’hôpital sur une unité psychiatrique avec d’autres personnes qu’elle ne connaît pas. Il est 11 h 30, plus qu’une heure et demie avant l’examen. Magalie n’ira pas faire son examen. Elle restera à l’hôpital un peu plus de 3 semaines. Elle se sent perdue, confuse comme si elle n’était pas vraiment là… on lui dira qu’elle a fait une psychose.

 

L’exemple de Magalie vient illustrer une rupture scolaire que nos clients sont amenés à vivre dans certains cas. Le mot psychose « fait référence à une maladie causée par un mauvais fonctionnement du cerveau et qui perturbe le contact avec la réalité[1]». Sans entrer dans les détails quant aux symptômes, aux causes et aux conséquences, juste un mot pour dire que la psychose peut être associée à plusieurs problématiques de santé mentale, dont la schizophrénie, la dépression, le trouble bipolaire, etc. De plus, ces problématiques s’accompagnent bien souvent de troubles associés tels que l’anxiété, l’abus de substances pour ne nommer que ceux-là.

 

Trois étapes peuvent caractériser la plupart des psychoses : le prodrome (période précédant la psychose franche), la phase aiguë (où les symptômes liés à la psychose sont clairs : pensées délirantes, hallucinations, désorganisation de la pensée), et la phase de rémission (où les symptômes peuvent être encore présents, mais de moindre intensité). Pour certaines personnes, les symptômes peuvent se poursuivre sur une longue période (phase résiduelle)[2].

 

Lorsque la personne est en phase de rémission, il est possible pour elle d’envisager un retour à la vie active que ce soit au travail, à l’école ou dans un autre projet. Mais comme il a été mentionné plus haut, la personne est souvent aux prises avec des symptômes qui demeurent présents et avec lesquels elle a à s’adapter. Et c’est alors que des questions se posent, par exemple :

 

« Je me sens ralenti avec la médication, est-ce que je vais pouvoir reprendre mes études dans mon domaine? »,

« Ça fait deux sessions que j’échoue mes cours, et je suis menacée d’expulsion, que puis-je faire ? »,

« J’ai l’impression de ne plus être “comme avant,” que vais-je faire maintenant ? »,

« On dirait que je n’ai plus d’intérêts, vers quoi je vais me diriger ? »

« Je voudrais retourner travailler comme préposée aux bénéficiaires, mais mon médecin n’est pas d’accord à cause des fluctuations d’horaires liées à mon type d’emploi, qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? »

 

La maladie amène très souvent à revoir ses projets scolaires et professionnels. Les scénarios varient d’une situation à une autre. Pour certains, le projet scolaire va se poursuivre en y ajoutant certains aménagements. Pour d’autres, le projet scolaire change complètement. Une autre possibilité, parfois envisagée, est celle de remettre le projet scolaire à plus tard pour aller travailler, par exemple. Avec l’arrivée de la maladie, c’est parfois difficile pour le client de se redéfinir compte tenu de sa nouvelle réalité et qu’il ne veut pas voir, qu’il a du mal à évaluer et qui le place dans une situation de vulnérabilité qui est, le plus souvent, très souffrante. Cette nouvelle réalité sera accompagnée de deuils, de nouveaux choix, de prises de décision. À l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, la discipline d’orientation et de réadaptation professionnelle a le mandat de favoriser l’intégration scolaire et professionnelle des clients ayant une problématique de santé mentale, et ce, depuis 1974. Cette pratique novatrice est pourtant en train de se perdre au sein de l’établissement en raison, entre autres, des compressions budgétaires.

 

Pour nous, pratiquer comme conseillères d’orientation au sein d’équipes multidisciplinaires demeure une expérience riche et extrêmement plaisante. Il est vrai que plusieurs « zones grises » en ce qui a trait au champ d’exercices de chacun peuvent se présenter. Un enjeu tel que le deuil peut être travaillé en travail social, en psychologie, mais également en orientation. Et le volet travail peut être partagé dans l’aspect de l’adaptation en contexte de travail sur le plan fonctionnel par nos collègues ergothérapeutes. Mais personnellement, nous croyons que l’apport de chaque professionnel, lorsque nous et nos collègues sommes sensibilisés à notre rôle respectif et sur la façon d’offrir des services en continuité, permet d’en améliorer la qualité et de rendre nos interventions beaucoup plus efficaces.

 

Selon nous, trois éléments viennent confirmer la valeur ajoutée d’avoir accès à une démarche assurée par un conseiller d’orientation au sein de l’équipe médicale :

 

1) Concernant le client

Le psychiatre, dès que l’état du client s’est amélioré, peut lui suggérer de rencontrer un conseiller d’orientation s’il envisage de retourner à l’école ou au travail. Il est donc possible, en fonction de la demande du client, de faire le point sur sa situation. Cela nous permet de prendre le temps, conjointement avec le client, de cerner les meilleures options qui s’offrent à lui compte tenu de sa réalité. Il est important de soulever que l’alliance de travail est parfois complexe à créer et à maintenir, mais vient jouer un rôle significatif sur les résultats de la démarche. L’évaluation continue offerte par le conseiller d’orientation au sein de l’équipe médicale permet de faire les ajustements nécessaires au fur et à mesure de son parcours scolaire ou professionnel. Étant donné que l’équipe médicale offre généralement un suivi de longue durée, il est possible pour le conseiller d’orientation d’accompagner le client dans les différentes étapes de son parcours et de réévaluer, au besoin, le projet en plus d’obtenir plus facilement les informations pertinentes quant à sa situation (par exemple, un déménagement, un changement de médication, une rechute, la transition école-marché du travail…).

 

2) Concernant l’équipe médicale

Le travail du conseiller d’orientation en milieu hospitalier avec une clientèle ayant un trouble mental grave se fait également par l’intermédiaire de notre rôle-conseil. Dans le cas d’un retour ou de l’entrée au cégep ou à l’université, il est possible d’être en mesure de partager les informations obtenues de nos partenaires du milieu scolaire (ex. : conseillers des services d’aide, intervenante psychosociale, enseignants, autres intervenants scolaires) et avec l’équipe traitante. Dans certains cas, les éléments permettent un ajustement de la médication, un changement dans le moment de la prise de la médication. Dans d’autres situations, les éléments soulevés permettent d’établir des aménagements plus adaptés à la réalité que vit le client (ex.: horaire à temps partiel). Le lien direct avec l’équipe médicale permet donc d’avoir des ajustements plus efficaces. Ce lien privilégié nous permet de l’informer par exemple s’il y a inadéquation entre ses attentes par rapport au client compte tenu des exigences du milieu scolaire.

 

3) Concernant les intervenants du milieu scolaire

Il faut également indiquer que pour différentes raisons certains clients que nous rencontrons refusent d’aller chercher de l’aide auprès des services offerts par l’établissement scolaire. Les raisons évoquées diffèrent d’un client à l’autre, mais une tendance peut facilement se dégager soit celle d’être stigmatisé. Il arrive également que le client refuse certains aménagements de peur d’être « étiqueté ». Par exemple, un client refusera d’avoir un preneur de notes prétextant que le professeur devra être mis au courant qu’il a un handicap. Un autre refusera d’enregistrer son cours malgré que ses voix l’empêchent d’entendre ce que le professeur dit prétextant « ne pas en être rendu là ». Comme si les mesures d’aide devenaient « la béquille visible » confirmant la maladie que le client porte avec une charge de honte, de stigmatisation et parfois de déni. Malheureusement, certains collègues de classe, certains professeurs et certains intervenants, par méconnaissance ou par ce qui peut être véhiculé encore aujourd’hui par les médias, entretiennent des préjugés par rapport aux troubles de santé mentale. Une collègue expliquait qu’un professeur, par peur que l’étudiant soit violent, l’avait refusé à son cours prétextant qu’il avait à se servir de ciseaux. Cela met en lumière les craintes que suscite la psychose et l’importance de mieux être informé sur ses signes précurseurs. Ce travail en partenariat permet souvent d’éviter que ces situations se produisent et qu’elles aient comme impact d’isoler encore plus la personne.

 

Pour conclure, la présence d’un conseiller d’orientation au sein de l’équipe médicale est selon nous une pratique sur laquelle il serait important d’investir davantage pour favoriser une intégration socioprofessionnelle optimale de cette clientèle. Toutefois, comme il n’est pas possible, dans la plupart des cas, d’avoir accès à des services d’orientation scolaire et professionnelle au sein de l’équipe médicale, nous invitons les conseillers dans les services d’aide ainsi que l’ensemble de nos partenaires du réseau scolaire à ne pas hésiter à proposer des services d’orientation lorsque cela s’avère pertinent et de ne pas hésiter à établir des partenariats avec les professionnels du réseau de la santé pour qu’il puisse y avoir une transition plus fluide pour le client entre un épisode de soin à l ’hôpital et une session à l’université.

 

Si vous désirez plus d’information au sujet de la psychose, nous vous invitons à aller consulter les sites suivants :

http://www.schizophrenie.qc.ca/

http://www.iusmm.ca/programme/troubles-psychotiques.html

http://www.iusmm.ca/premiers-episodes-psychotiques.html

http://www.cmha.ca/fr/

[1] http://premierepisode.ca/la-psychose/la-psychose-cest-quoi/

[2] http://premierepisode.ca/la-psychose/les-etapes-dune-psychose/