19 mars 2014

Le Collège Montmorency lance un nouveau magazine : Miser sur les forces des étudiants en situation de handicap L’exemple du magazine Lunatic

Emilie Robert, conseillère en orientation

Les personnes en situation de handicap, qu’il soit moteur, neurologique ou lié à la santé mentale, sont souvent définies par les limites de leur diagnostic. Très tôt dans ma pratique de counseling d’orientation avec une clientèle étudiante ayant des troubles de toutes sortes, j’ai constaté que de les accompagner dans l’exploration des métiers et professions en abordant d’abord leurs limites ne menait pas à des résultats concluants. Je me suis ravisée et j’ai choisi de travailler le choix professionnel en misant sur leurs forces.[1] Les limites inhérentes à leur handicap sont tenues en compte, mais à l’étape de la réelle prise de décision d’un programme ou d’une profession, pas à l’étape de l’exploration. Toutefois, c’est une chose plus facile à dire qu’à faire. Souvent, mes clients ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA) ont une énorme difficulté à trouver des mots pour se décrire et communiquer leur introspection quant à leurs aptitudes et réussites. Il faut donc trouver d’autres moyens d’aller les rejoindre sur ces dimensions de leur personne.

 

Les adolescents et jeunes adultes TSA ont souvent très peu l’occasion d’expérimenter la réussite, autre qu’académique. La plupart n’ont jamais eu d’emploi d’été, car la recherche d’emploi leur est difficile. Peu se sont impliqués dans des activités parascolaires en raison d’une difficulté ou d’une absence de désir d’entrer en relation avec les autres. En raison de difficultés de coordination motrice et d’hypersensibilité tactile et auditive, peu ont pratiqué des sports de compétition. Leurs loisirs et passions sont souvent individuels. De se mesurer aux autres a souvent été une série de déceptions, car ils sont tout simplement très uniques et différents des autres.

 

C’est au travers de cette réflexion que mon équipe du Service d’aide à l’apprentissage du Collège Montmorency a eu l’idée de créer une activité pour permettre aux étudiants TSA de socialiser et de pouvoir mettre en œuvre leurs forces et leurs talents. Le tout dans un contexte où leurs limites n’allaient pas être un obstacle, car ils allaient se retrouver dans un groupe composé de personnes TSA, tout comme eux. Vous me demanderez comment on convainc une personne autiste à rencontrer des gens qu’elle ne connaît pas ? En lui suggérant une activité centrée sur ses passions, qui sera la même que celle des autres participants. Dans notre cas, cette passion était l’écriture. C’est ainsi qu’à l’automne 2013, nous avons réuni cinq étudiants TSA et trois étudiants neurotypiques (sans trouble neurologique), pour réaliser un magazine où chacun allait rédiger un texte ou faire du graphisme et de la mise en page. À raison d’une fois par semaine, les étudiants se réunissaient dans un local leur étant dédié. Guidés par mes collègues et moi-même, ils parcouraient les étapes de l’édition d’un magazine. Ils eurent d’abord à choisir le titre du magazine, nommé — à l’unanimité — Lunatic. Ensuite, ils déterminèrent le thème de la première édition, les passions,[2] ainsi que le sujet sur lequel chacun allait écrire. Tous ont choisi de composer un texte qui traite de leur passion personnelle : l’histoire de la Finlande, les contes et légendes, les films d’horreur, la Chine et le cosplay japonais.

 

Au fur et à mesure du déroulement du projet, mes collègues et moi avons fait trois constats :

 

  • Spontanément, nous étions étonnées de la qualité du travail d’équipe de nos étudiants, alors que les personnes autistes sont réputées pour fonctionner difficilement en groupe. Ils se donnaient de la rétroaction sur la qualité de leurs textes, acceptaient les critiques, avaient des commentaires très pertinents sur le développement du magazine, prenaient des décisions en consensus.
  • Notre étonnement dévoile qu’il nous était difficile de nous affranchir de notre perception des limites de nos étudiants. Il fallait voir les étudiants à l’oeuvre pour être convaincues de leurs forces dans des sphères réputées problématiques pour les personnes TSA.
  • Pour les personnes ayant un handicap invisible (trouble neurologique ou de santé mentale), il demeure encore rare qu’elles puissent étudier et travailler dans un contexte adapté. Du moment où le contexte est adapté à leurs très grandes forces, mais également à leurs vulnérabilités, elles deviennent performantes dans des tâches qu’on croyait impossibles à réaliser.

Quel fut le résultat de ce projet ? Le 26 novembre 2013, la toute première édition du magazine Lunatic a été publiée.

Le magazine, d’une dizaine de pages et disponible gratuitement sur le site du Collège Montmorency,[3] a touché le public et les médias non seulement par sa qualité, mais en raison du dépassement de soi de ces jeunes. Du côté des étudiants, on observe plusieurs bénéfices. Tout d’abord, ils ont accru leur confiance en eux. Ils se sont fait plusieurs amis et semblent plus à l’aise en situation de groupe. Ils ont aussi développé des habiletés à s’exprimer devant un groupe. D’autre part, plusieurs ont pu confirmer leur choix professionnel ou avoir une meilleure compréhension des métiers de la culture et des médias. Une édition du magazine paraîtra à la fin de chaque session d’études, en décembre pour la session d’automne et en mai pour la session d’hiver.

 

En terminant, mon intervention en orientation ainsi que l’intervention pédagogique de mes collègues s’en trouvent d’autant plus enrichies, avec les étudiants TSA, mais aussi avec les autres étudiants. Au fur et à mesure que ma clientèle va se diversifier, je n’hésiterai pas à donner l’opportunité à mes étudiants de se concentrer sur leurs forces et de repousser toujours un peu plus leurs limites.

[1] Grandin, T. & Panek, R. (2013). The Autistic Brain, HMH Books, pages 171-206.

[2] Attwood, T. (2009). Syndrome d’Asperger, guide complet, De Boeck.

[3] http://www.cmontmorency.qc.ca/images/stories/fichiers_actualite_evenements/magazine_lunatic_volume_1_no1.pdf.