6 octobre 2025

La dyslexie développementale | CAIRN

La dyslexie développementale

Vue sous l’angle des modèles interactifs

Limiter la dyslexie de l’enfant à un désordre de déchiffrement des unités du langage écrit, selon une conception à « double voie » de la lecture, traduirait une tendance simpliste allant à l’encontre des données neurologiques actuelles et incapable de prendre en considération les constituants de processus de la lecture dans son ensemble.

Présentation de modèles qui prendraient en compte les dimensions cognitives, symboliques et métacognitives.

La définition répandue et officielle de la dyslexie est une définition par la négative. Elle précise ce que ce n’est pas, mais n’en dit pas plus sur ce que c’est : la dyslexie développementale est un trouble spécifique de la lecture, caractérisé par une difficulté à identifier les mots écrits et à accéder à leur sens. Ce trouble est manifeste en dépit d’une intelligence normale et d’une compréhension orale normale (Critchley, 1970). Ainsi, elle pourrait avoir des répercussions importantes sur le développement du parcours scolaire de l’individu et également sur le développement social, personnel et professionnel.

Vu sous cet angle, le terme « dyslexie » serait limité, au début, à tout retard de lecture n’ayant pas d’origine trouvée, puis, avec les avancées des connaissances neuropsychologiques et l’imagerie cérébrale, cette origine serait de plus en plus associée à un caractère neurologique.

Il paraît plus pertinent, pour d’autres, de parler de « trouble du langage » écrit qui ne tient pas compte de l’étiologie et ne retient que le caractère de difficulté durable et importante.

L’analyse de l’acte de lire et son apprentissage, ainsi que l’analyse des différentes conceptions des difficultés de lecture ne sont pas simples et ne peuvent relever d’une cause unique comme le voudraient les tenants de la thèse neurologique. Les difficultés de lecture sont-elles causées par des troubles sur le plan de la conscience phonologique, comme le soutiennent des chercheurs éminents ? Les recherches sur les stratégies, les processus cognitifs et leur gestion requis dans l’acte de lire et son apprentissage, sont aussi prometteuses afin de mieux identifier les profils des bons et des mauvais lecteurs et leur gestion cognitive.

Limites des modèles théoriques classiques

Le modèle théorique de référence joue un rôle central tant dans l’évaluation du trouble de la lecture que dans le choix de sa rééducation. Le modèle de lecture souvent utilisé pour l’évaluation des dyslexies développementales est le modèle dit « à# deux voies » (Coltheart, 1978), qui est dominé par la conception modulaire qui trouvait ses racines dans la neuropsychologie strictement localisationniste issue du xixe siècle.

Les difficultés de lecture sont-elles causées par des troubles sur le plan de la conscience phonologique ?

Le modèle de lecture à deux voies postule l’existence de deux procédures de lecture : la procédure lexicale et la procédure analytique en vue d’accéder à un lexique interne durant la lecture. La procédure lexicale de lecture fonctionne par activation de connaissances mémorisées sur la forme orthographique et phonologique des mots rencontrés par le sujet. Ainsi, un mot familier présenté sous forme écrite fait d’abord l’objet d’une analyse visuelle qui conduit à activer une représentation mémorisée de ce mot au sein du lexique orthographique, défini comme une mémoire à long terme de l’ensemble des formes orthographiques des mots connus. Lorsque la représentation du mot à lire est retrouvée au sein de ce lexique, celle-ci donne accès au sens du mot et permet de retrouver la forme phonologique (ou séquence sonore) correspondante au sein du lexique phonologique. La séquence phonologique du mot pourra ensuite être maintenue en mémoire verbale à court terme le temps de son articulation. Cette procédure permet donc de lire tous les mots qui ont été préalablement mémorisés.

Dans ce type de conception, apprendre à lire ne reviendrait pas à élaborer un module spécialisé dans la reconnaissance des mots écrits inexistants chez le prélecteur ou chez l’analphabète. Au contraire, un même système, initialement incapable de traiter l’information écrite, devient progressivement capable de le faire sous le double effet de l’enseignement et de l’expérience.

Dans les modèles connexionnistes, il n’y a plus à proprement parler de lexique mental, dans le sens où il n’y a pas de mots stockés comme des entités en mémoire à long terme. Reconnaître un mot n’est pas retrouver ce mot quelque part en mémoire, mais recouvrer un certain état d’activation des unités qui, dans le système cognitif, sont concernées par le traitement de l’information lexicale. Cela vaut autant pour les caractéristiques orthographiques que pour les caractéristiques phonologiques ou sémantiques qui leur sont associées.

Chaque configuration différente d’activation correspond alors à la reconnaissance d’un mot différent.

Selon cette conception, il ne s’agit pas de voies de lecture, mais d’une organisation dont la complétude et l’adéquation aux systèmes externes à traiter conditionnent l’efficacité des traitements. Le lecteur, dont le système cognitif aurait exclusivement développé les liens entre orthographe et sémantique ou, au contraire, entre orthographe et phonologie, ressemblerait, pour le premier cas, à un dyslexique phonologique incapable de lire un mot dès sa première rencontre et, pour le second, à un dyslexique de surface condamné au décryptage. Il faut favoriser le renforcement des uns et des autres.

Les critiques formulées à l’encontre des approches classiques sont à l’origine de l’élaboration de modèles complémentaires : les modèles interactifs qui mettent l’accent sur l’interaction des différents processus mis en œuvre et sur le rôle des traitements implicites dans l’apprentissage. La description des effets explicites de l’apprentissage de la lecture se trouve ainsi complétée par la prise en compte#

des effets des apprentissages implicites par lesquels l’apprenti lecteur développe des connaissances et des traitements qui lui sont propres. Ainsi s’est développée une autre conception mettant en avant les conditions, les stratégies et les processus requis dans l’acte de lire et son apprentissage (Giasson, 1993 ; Martinez, 1994 ; Tardif, 1994 ; Romainville, 1993). Cette conception est toutefois envisageable dans l’explication de la dyslexie et très prometteuse en matière d’explication du trouble.

Considérés sous cet angle de l’approche cognitive, les enfants dyslexiques sont analysés par référence à un modèle théorique de lecture qui définit la nature des opérations mentales qui sous-tendent l’identification des mots. L’évaluation cognitive va alors consister à proposer à l’enfant des épreuves (des tests) visant à évaluer l’état de fonctionnement de chacune des opérations postulées par le modèle théorique de référence. Cette évaluation va permettre de dresser le profil cognitif de l’enfant, c’est-à-dire qu’elle conduira à spécifier quelles sont les composantes du système de lecture et les opérations mentales sous-jacentes qui fonctionnent normalement chez cet enfant, celles qui ne fonctionnent pas de façon satisfaisante et celles qui ne se sont pas du tout mises en place au cours de l’apprentissage.

Modèles interactifs de la dyslexie et implications orthopédagogiques

Suivant une conception dite « classique », des dispositifs pédagogiques dictés par la théorie à deux voies sont invoqués de telle sorte que l’on se penche exclusivement sur le code lui-même, abstraction faite du processus de l’apprentissage, ce qui va à l’opposé de l’avancée des connaissances sur l’apprentissage de la lecture.

De façon générale, c’est la répétition de la lecture qui jouera un rôle déterminant, et tout laisse à penser que, pour être efficace, cette répétition devra autoriser à la fois l’association entre l’orthographe et le sens – ce qui peut se faire en lecture silencieuse –, mais aussi entre l’orthographe et la phonologie – ce qui nécessite un exercice de la lecture à voix haute. De plus, pour que cette répétition puisse très tôt être opérée de façon autonome, il faut munir l’apprenti lecteur de connaissances explicites lui permettant de traduire tout écrit dans le langage oral qu’il maîtrise déjà. Pour ce faire, il devra maîtriser le double code de l’écrit : le code graphophonologique qui lui permet de penser le marquage écrit des sons du langage et le code grapho-sémantique qui lui donne accès à l’identité des unités lexicales et lui permet de comprendre leur structure morphologique (ce dernier type de connaissance deviendra fondamental pour la maîtrise de l’orthographe).

Pour un éclairage véritablement utile des pratiques pédagogiques, il ne faudrait pas nier le rôle de la métacognition. L’approche cognitive permet ainsi de décrire, d’expliquer, de modéliser, les activités cognitives impliquées dans le traitement de l’écrit. Toutefois, si les activités cognitives sont faites de traitements, elles sont également faites de représentations.

Il est supposé que les enfants dyslexiques pourraient avoir des difficultés dans les aspects métacognitifs de l’apprentissage (Tunmer, Chapman, 1996), ce qui implique qu’ils ont besoin de savoir comment ils doivent apprendre, pour découvrir les liens entre différentes tâches d’apprentissage, par exemple. Cela signifie que l’attention doit se centrer non pas sur le contenu ou le produit de l’apprentissage, mais plutôt sur le processus. Selon ce point de vue, le processus d’apprentissage devrait être consistant et favorable aux enfants dyslexiques et à leurs préférences. Cela dit, les styles d’apprentissage devront être pris en considération dans le cadre du besoin de plus en plus ressenti pour le développement de la conscience métacognitive. Ces deux aspects peuvent coexister et fonctionner en totale réciprocité, en mettant l’accent non pas sur les manifestations du trouble dyslexique, comme le font les programmes traditionnels, mais plutôt sur les principes fondamentaux du processus d’apprentissage (Given, Reid, 1999). Ainsi, les aspects cognitifs et métacognitifs qui sous-tendent le processus d’apprentissage revêtent ici beaucoup d’importance et aident à établir les stratégies d’intervention auprès de l’enfant dyslexique.

Le rôle de la métacognition dans l’apprentissage est de grande importance grâce à son lien avec la conscience du sujet apprenant sur ses propres activités mentales et son apprentissage. W. E. Tunmer et J. Chapman (1996) montrent comment des enfants dyslexiques ayant un niveau de conscience métacognitive très bas sont obligés d’adopter des stratégies inappropriées d’apprentissage de la lecture.

Dans ce contexte, l’enseignant a un rôle important à jouer dans le développement de la conscience métacognitive (Peer, Reid, 2001). Et ce, à travers un ensemble organisé de questions sur la façon dont le sujet lui-même se met à apprendre et sur les différents comportements qui y sont impliqués.

L’utilisation des stratégies métacognitives peut aider à développer les compétences de l’expression et de la compréhension écrites. Certaines de ces stratégies comprennent :

  • l’imagerie visuelle et l’extraction des images du texte lu,
  • l’identification des idées principales dans le texte,
  • l’utilisation de la carte mentale des idées contenues dans le texte,
  • l’auto-interrogation, c’est-à-dire ce que le sujet connaît déjà sur le thème ou l’objet, et ce qu’il s’attend à apprendre.

Ainsi, l’importance des styles d’apprentissage a été soulignée comme un facteur décisif dans toutes les étapes du cycle de traitement de l’information, y compris la lecture. Plusieurs auteurs ont développé des outils d’évaluation des caractéristiques de l’apprentissage, comme la préférence des voies de collecte d’information (input) : visuelle, auditive, tactile ou kinesthésique (Grinder, 1991) ; d’autres ont développé et ont mis l’accent sur les facteurs primairement associés à la personnalité, comme l’intuition et l’inflexion (Kolb, 1984). 

Dans ce contexte, plusieurs approches essayent d’identifier les caractéristiques individuelles de traitement de l’information en termes de mémoire et de fonctions expressives. D’autres, combinant les styles cognitifs et stratégies d’apprentissage, mettent en interaction les aspects de base de la vie psychologique de l’individu : l’affect, le comportement et la cognition (Riding et Raynor, 1998). L’étude des styles d’apprentissage mènera donc à découvrir comment ces facteurs s’organisent et sont structurés.

B. K. Given (1998) a construit un nouveau modèle de style d’apprentissage à partir de quelques éléments de base inspirés d’autres modèles. L’idée centrale de ce modèle consiste en la coexistence de plusieurs types de notion : l’apprentissage émotionnel (le besoin chez le sujet d’être motivé par ses propres intérêts), l’apprentissage social (compatibilité d’appartenance du sujet à un groupe social), l’apprentissage cognitif (besoin de savoir ce que les autres savent), l’apprentissage physique (besoin de s’impliquer activement dans l’apprentissage) et l’apprentissage réflexif qui renvoie au besoin de vivre l’expérience et de découvrir les meilleures circonstances pour de nouveaux apprentissages.#

Il est indispensable de souligner l’importance des éléments identifiés par D. Wray (1994) dans les habiletés mises en œuvre dans l’acte de lire et qui relèvent de la conscience métacognitive, à savoir le pouvoir d’engendrer des questions durant la lecture, de gérer et résoudre les problèmes de compréhension, l’utilisation des images mentales pendant la lecture, le retour en arrière si nécessaire et l’autocorrection des erreurs en lecture.

Il est toutefois primordial de s’assurer que le lecteur possède une idée très claire de l’objectif de la tâche de lecture qui lui est assignée, car il est devenu évident que la discussion avec le sujet avant d’entamer la lecture joue un rôle facilitateur dans la fluidité et la compréhension de la lecture.

À côté des processus cognitifs, qui font référence à l’organisation et à la mise en opération des stratégies nécessaires pour lire, il faut souligner que tant les processus que les stratégies s’acquièrent de façon simultanée et non séquentielle (Giasson, 1995).

Et les processus métacognitifs, qui s’élaborent précocement au fur et à mesure de l’apprentissage de la lecture et avec lesquelles le lecteur peut identifier ses pannes de compréhension et compenser (Stanovitch, 1980) permettent « l’auto-questionnement » pour expliciter ses choix cognitifs.

Il est important de considérer, dans le processus global d’apprentissage de la lecture, le « processus sémiotique » qui fait partie intégrante des processus cognitifs, et qui s’enracine dans les étapes premières du développement du graphisme chez l’enfant, joue un rôle primordial dans le traitement du code graphique (Layes, 2005).

En effet, l’une des idées centrales de la psychologie cognitive d’inspiration piagétienne dans le processus d’apprentissage se rapporte à la notion de « connaissances antérieures » qui est à la base de la construction des nouvelles connaissances. Transposée dans l’étude de la dyslexie, cette notion revêt une grande importance, car il s’agit, pour l’enfant dyslexique, de difficultés permanentes pour « se débarrasser » des erreurs commises de façon incessante, d’où l’importance de développer chez l’enfant dyslexique des stratégies d’apprentissage (cognitives et métacognitives) plus efficaces, mettant en œuvre les connaissances et les prérequis sur le langage écrit comme moyens indispensables à la construction antérieure du savoir lire et écrire, car les stratégies sont dépendantes des connaissances antérieures et de celles à acquérir (Giasson, 1995). Dans ce contexte, les connaissances préalables sur le « code graphique » chez l’enfant se sont révélées très importantes pour l’apprentissage futur du langage écrit, et sans lesquelles une défaillance dans la compétence en lecture peut être très vraisemblablement enregistrée. C’est le cas des enfants dyslexiques chez qui on a pu mettre en évidence un niveau sensiblement inférieur à leur pair de même âge, dans l’emploi des unités graphiques de type « symboles » dans le dessin, ce qui a été traduit par un nombre restreint de ces unités caractérisées principalement par le caractère arbitraire entre le signifiant et le référent (Layes, 2005).

Conclusion

On est amené à admettre que l’étude de la dyslexie développementale ne peut pas échapper à la prise en compte de nouvelles dimensions cognitives, symboliques et métacognitives impliquées dans le processus d’apprentissage. Eu égard aux difficultés éprouvées par l’enfant dyslexique dans la réception, le traitement (cognition) et la mise en œuvre de l’information, la prise en considération des styles d’apprentissage et les stratégies métacognitives permettraient de se focaliser sur leur propres caractéristiques dans l’apprentissage et l’exécution du programme d’enseignement.

Bibliographie

  • Coltheart M. 1978, « Lexical Access in Simple Reading Tasks », in Underwood G. (éd.), Strategies of Information Processing, London, Academic Press, pp. 151-216.
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  • Giasson J., 1995, La Lecture. De la théorie à la pratique, Boucherville (Québec), Gaëtan Morin.
  • Gombert J.-E., 1997, « Mauvais lecteurs : plus de dissynoptiques que de dyslexiques », in Glossa, 56 : 20-27.
  • Given B. K., 1998, « Psychological and Neurobiological Support for Learning-Style Instruction : Why it Works », National Forum of Applied Educational Research Journal, 11 (1) : 10-15.
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  • Martinez J.-P., 1994, « Le concept de prévention des difficultés d’apprentissage », Actes du xve Congrès de l’Association préscolaire du Québec.
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