2 juin 2020

Favoriser la rencontre: le défi du handicap!

Favoriser la rencontre: le défi du handicap!

Par Sylvain Le May

2 juin 2020

 

Dans le cadre de la Semaine des personnes vivant avec un handicap, le Monde Ouvrier publie des témoignages de membres impliqués syndicalement dans le dossier.

Par : Sylvain Le May, membre SCFP du comité d’intégration au travail des personnes vivant avec un handicap de la FTQ et Commissaire à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec.

« Moi mes souliers ont beaucoup voyagé… » Félix Leclerc

Je suis né d’un père ouvrier et d’une mère aînée d’une grande famille pour qui l’idée de poursuivre des études et d’intégrer le marché du travail ne faisait pas partie des choix de l’époque. Malgré qu’ils aient eu pour des raisons de santé qu’un seul enfant, de surcroît handicapé, je n’ai jamais grandi avec le poids de cette différence. Mes parents m’ont donné la plus précieuse chance, soit celle de vivre comme tous les autres enfants et de faire mes propres choix, à partir de mes expériences de vie.

J’ai toutefois vite compris que malgré tout cet amour, la vie a autant besoin de journées ensoleillées que de journées de pluie. Malgré mon handicap, mes parents généreux de cœur plus que de fortune ne m’ont jamais empêché de rêver et de réaliser tous les rêves que peut porter un gamin de 8 ans. C’est d’ailleurs à cet âge où nous avons reçu mon diagnostic de dystrophie musculaire. Depuis, le rêve est toujours au cœur de ma vie.

Je me revois avec mon père chez Canadian Tire lui demandant de m’équiper pour jouer au hockey avec l’équipe municipale. Il n’a pas hésité une seconde à m’équiper de la tête aux pieds fier d’accompagner son unique fils dans cette étape de sa vie. Après 3 matchs, j’étais plus souvent confondu avec la rondelle qu’avec un joueur debout sur des patins. J’ai cessé le hockey pour me diriger vers des cours de claquettes… L’achat avec ma mère de beaux souliers vernis a concrétisé cette nouvelle passion. La suite: 3 « steppettes » et je devais m’asseoir pour me reposer… Depuis, je garde précieusement dans sa boite d’origine les souliers vernis me disant qu’un jour lors d’une grande remise de prix, je les porterai à nouveau comme Fred Astaire avec un magnifique smoking.

Encore aujourd’hui le rêve m’a permis à bien des égards de traverser sans trop de mal les étapes de la vie et les défis que rencontre une personne handicapée dans son quotidien. Vivre avec un handicap c’est souvent vivre avant l’âge les mêmes défis auxquels font face les personnes vieillissantes…tous les jours, on perd un peu plus de nos capacités.

Mes parents ont quitté ce monde beaucoup trop jeunes, à une année d’intervalle jour pour jour, comme s’ils ne voulaient pas trop imposer à leur fils unique le poids de leurs âges. Ce n’est qu’un an plus tard, lors de l’achat de ma première maison que j’ai vécu comme à rebours, l’immense vide laissé par mes parents qui de tout temps, avaient été si présents pour compenser tout ce qui m’était impossible de faire. Le défi d’acheter une maison seul, sans le soutien si précieux de ma famille dans un moment comme celui-ci, m’a fait sentir pour la première fois de ma vie être une personne handicapée. Ce soir-là, seul devant l’immensité des tâches à accomplir, des rénovations, des adaptations à effectuer, de la peinture et des boites à défaire, une pluie diluvienne est tombée sur ma nuit. Ce n’est qu’après plusieurs jours d’orage que le soleil est revenu. En repensant aux legs de mes parents, je me suis retroussé les manches et je suis passé du rêve à la réalité en transformant cette vieille maison de campagne en coin de paradis. C’était là le plus beau et le plus riche des legs que mes parents peu fortunés pouvaient m’avoir laissé, celui de tenter toujours l’impossible et que le bonheur, comme la tarte aux pommes, est meilleur lorsque partagé.

Aujourd’hui, fort de l’éducation qu’ils m’ont toujours souhaitée, je travaille en milieu universitaire et collabore au sein des Services à la vie étudiante avec une magnifique équipe de professionnels et de commis à accompagner mes semblables en situation de handicap, à la réalisation de leurs projets d’étude. Depuis 15 ans, au sein de l’UQAM, je suis responsable de l’accueil et du soutien des étudiants en situation de handicap. Au départ, mes connaissances étaient essentiellement ancrées dans le handicap moteur et sensoriel. Elles se sont maintenant élargies à la diversité des défis auxquels nous sommes dorénavant confrontés, notamment les divers aspects relatifs à la santé mentale. Les campus collégiaux et universitaires sont des univers révélateurs de nos sociétés. Ils sont aux prises avec les mêmes défis que nos instances syndicales et administratives.

Je crois bien humblement que mes qualités d’écoute sont nées d’années d’implication auprès de personnes vulnérables. C’est par cette expérience terrain que j’ai toujours privilégié l’éducation pour une participation citoyenne élargie reposant sur une plus grande collaboration des différents acteurs sociaux. C’est dans cette perspective que j’ai accepté de représenter ma section locale, le Syndicat des employées et employés de l’UQAM (SEUQAM) SCFP-1294, sur diverses instances ayant pour objet

la diversité et l’inclusion des personnes en situation de handicap. Depuis 2 ans, je participe aux travaux du Comité national des personnes ayant un handicap piloté par le SCFP ainsi qu’au Comité pour l’intégration des personnes handicapées de la FTQ pilotée par notre collègue Myriam Zaidi. C‘est pour moi une grande joie de participer aux travaux de ces comités, car quand j’entends les défis rencontrés par mes consœurs et confrères, ça me touche toujours autant et ça m’indique surtout tout le travail qu’il reste à faire pour bâtir une société plus équitable et plus inclusive.

Connaître l’histoire des gens c’est ouvrir la porte du cœur.

J’ai toujours été convaincu que l’empathie n’est possible qu’à partir du moment où l’on connait un peu l’histoire de l’autre. Mais dans un monde où tout va vite et où nous sommes de plus en plus bombardés par une vaste source de nouvelles, prendre le temps nécessaire à cet échange est malheureusement de plus en plus rare. Connaître l’histoire de l’autre est en quelque sorte lui permettre de faire partie de la nôtre. Rencontrer la différence et non pas uniquement y faire face est selon moi gage d’une meilleure société.

Qui d’entre vous, avant la lecture de ce texte, me voyant en fauteuil roulant, aurait imaginé que je garde dans une vieille boite à chaussure des souliers à claquettes en cuir vernis? Rencontrer l’autre, c’est aller plus loin que notre première impression et ainsi éviter de catégoriser trop hâtivement. Me définir uniquement par le fait que je suis une personne en fauteuil roulant est possiblement m’imaginer plus limité que je le suis réellement. Cette analyse trop étroite m’empêche alors de révéler qui je suis ainsi que mon plein potentiel.

Mes parents avaient bien compris ces enjeux. D’ailleurs, au moment où j’ai été assermenté pour devenir commissaire à la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec, à l’instant où ma main tremblante a touché le document officiel pour y apposer ma signature, ce n’était pas mon handicap qui la faisait trembler, mais la pensée que j’avais pour mes parents; constater à ce moment que c’est grâce à eux que je relève aujourd’hui un tel mandat.

On ne connaît jamais réellement quelqu’un que si on se donne la peine de connaitre son histoire. Voici une partie de la mienne que je souhaite partager avec vous afin qu’à votre tour vous soyez en mesure de me partager la vôtre. À la fin, c’est tout le Québec qui en sortira grandi!

L’histoire de Sylvain Le May (1:59)

« Je suis un enfant des autobus à plancher bas! ». Tout jeune, Sylvain Le May s’est senti enfin compris par la société québécoise le jour où il a pu embarquer dans un autobus modifié pour prendre en compte son handicap. Les accommodements scolaires ne doivent pas être automatiques ni immuables : ils doivent être réévalués selon l’évolution des besoins de l’élève. « Merci à la société québécoise de m’avoir donné la possibilité d’étudier au collège, à l’université et avec des aménagements qui me permettent aujourd’hui d’être commissaire à la Commission des droits de la personne », conclut Sylvain Le May.

YouTube : https://youtu.be/_pfH6IcEVFg