19 mars 2014

Entre deux langues, mes mains basculent… Ou la réalité des services d’interprétation visuelle

Julie Boucher, conseillère pédagogique auprès des interprètes, Centre collégial de soutien à l’intégration-Ouest (CCSI) Cégep du Vieux Montréal

Au cours des trente dernières années, le SAIDE (Service d’aide à l’intégration des élèves) du Cégep du Vieux

Montréal a desservi les besoins des étudiants sourds. Depuis 2010, c’est le CCSI (Centre collégial de soutien à l’intégration) qui a le mandat interrégional de fournir des interprètes pour les étudiants sourds inscrits dans les cégeps de l’ouest du Québec. C’est aussi un réel plaisir pour le CCSI de collaborer avec les conseillers aux étudiants en situation de handicap (CESH) des établissements universitaires avec qui il y a des ententes (À ce jour : UQAM, UdeM Polytechnique, HEC, Concordia). C’est ainsi qu’à l’automne 2013, le CCSI assurait le service à près d’une trentaine d’étudiants au collégial et à une vingtaine à l’université en recourant aux services d’une quarantaine d’interprètes. Bien sûr, le nombre d’interprètes requis varie d’une session à l’autre et d’une année à l’autre selon le nombre d’étudiants inscrits.

 

Modes d’interprétation et accommodement

Trouver un interprète, bien sûr ! Mais là ne s’arrête pas l’accommodement. Parmi ces étudiants sourds, différents modes d’interprétation sont utilisés. Certains requièrent une interprétation en langue des signes québécoise. D’autres veulent une interprétation à mi-chemin entre la langue signée et la langue française (dit pidgin). Enfin, certains exigent une interprétation intégrale de tous les mots dits par l’émetteur avec ajouts de signes, de gestes naturels ou sans aucun soutien signé ou verbal. L’interprète doit vivre avec ces différentes demandes d’un étudiant à l’autre. Mentionnons que les interprètes ne suivent habituellement pas un seul étudiant, mais reçoivent au début de chaque session un horaire incluant différents établissements, différents programmes et différents étudiants. Nul besoin de spécifier qu’ils se doivent de s’adapter facilement à la culture des différents établissements.

 

Historique du pairage des interprètes

Les CESH ont peut-être remarqué un nombre croissant d’équipes de deux interprètes pour les cours de quatre heures au niveau collégial et un pairage presque systématique dans les universités. Voyons-en brièvement les raisons.

 

À sa création en 1982, le service d’interprétation au Cégep du Vieux Montréal affectait un seul interprète par cours, peu importe la durée de celui-ci. Il en fut de même au moment où des étudiants sourds ont demandé des services d’interprétation dans les universités.

 

Entre 2005 et 2012, pour faire suite à la hausse des demandes d’étudiants sourds inscrits dans les établissements postsecondaires, et en conséquence des recherches sur les troubles musculo-squelettiques vécus par des interprètes et causant de nombreuses absences du travail, le CCSI a balisé le besoin d’un deuxième interprète (selon la durée, la complexité, l’intensité, le manque de pauses, la rapidité du débit, les échanges nombreux entre les participants d’un cours). Le pourcentage des heures interprétées en équipe dans les universités passa de 11 % à 49 %.

Qin et coll. (2008) ont estimé que les interprètes en milieu postsecondaire passent 95 % de leur temps de travail « les mains dans les airs ». Au Québec, l’Institut de recherche en santé et sécurité au travail (IRSST) a mené une étude sur plusieurs années auprès des interprètes à l’emploi du Cégep du Vieux Montréal. Le tableau suivant indique que les interprètes déclarent un pourcentage plus élevé de douleurs aux membres supérieurs que l’ensemble des Québécois.

Le travail en équipe est d’abord un gage de la qualité du service d’interprétation (précision et fidélité du message transmis), mais a aussi pour effet de réduire de moitié du temps à passer « les mains dans les airs ».

 

Rôle et responsabilités du CESH à l’égard de l’organisation du service d’interprétation

À ce sujet, il m’importe en tant que conseillère pédagogique auprès des interprètes, en tant qu’ambassadrice me plais-je souvent à dire, de vous encourager à mettre en place chaque session des outils pouvant rendre le plus convivial possible le travail de ces employés du Cégep du Vieux Montréal qui viennent travailler chez vous. Sans endroit où poser leurs chaussures, manteaux et effets personnels, sans accès aux LÉA-MIO-StuDIUM et autres systèmes d’information virtuelle permettant l’accès aux contenus du cours, sans accès à un ordinateur quelque part dans votre établissement et sans accès au réseau Wi-Fi, sans chaises adéquates en classe pour prévenir les douleurs musculo-squelettiques dues aux mouvements répétitifs, l’interprète se sent vraiment de passage et manque d’outils pour offrir un travail de qualité aux étudiants sourds inscrits dans vos établissements. Car qui dit performance en langue des signes dans des domaines aussi techniques que le génie industriel ou la linguistique dit aussi de nombreuses heures de préparation afin de comprendre la matière à rendre dans une autre langue. Merci à vous tous qui devenez des agents facilitateurs de leur travail dans vos milieux.

 

Considérant ces points, l’interprétation visuelle est un accommodement qui existe depuis déjà quelques décennies dans nos établissements postsecondaires, mais il reste une profession récente dans l’Histoire et sujet à évolution. C’est ensemble que nous pourrons en faire un service de plus en plus au fait de la diversité des besoins de nos étudiants sourds.

Sites des douleurs Interprètes employés au cégep du Vieux Montréal

* N = 112

Population québécoise 1998

** N = 20 773

Cou 40 % 14,4 %
Épaules 32,3 % 13 %
Avant-bras, poignets ou mains 29,4 % 7,9 %
Haut du dos 21,5 % 14,2 %
Bas du dos 25,1 % 24,5 %

* Compilation des questionnaires de l’IRSST en 2000, 2001, 2002, 2003

** Source: Institut de la statistique du Québec: Enquête sociale et de santé 1998