Comprendre les réalités des personnes sourdes ou handicapées
Un laboratoire invite des étudiantes et étudiants à créer une œuvre sur l’expérience de l’accessibilité.
22 avril 2025 à 15 h 26
La dernière séance de la session d’hiver du cours Handicap et sourditude: stratégies de communication, de recherche et d’action, donné par la professeure du Département de communication sociale et publique Véronique Leduc, avait lieu le 16 avril dernier. Pour l’occasion, la professeure avait invité la chargée de cours et doctorante en communication Sarah Heussaff à aborder le thème des arts des personnes de la diversité capacitaire.
Près d’une dizaine d’étudiantes et d’étudiants – dont plusieurs personnes sourdes, sourdes-aveugles, aveugles et neurodivergentes – assistent au séminaire dans le laboratoire Handicap, Sourditude et Innovations (HSI) du pavillon Hubert-Aquin. Ce laboratoire, qui vise à renforcer la citoyenneté culturelle des personnes en situation de handicap et des personnes sourdes, se distingue par son accessibilité. Les tables et les chaises sont disposées en cercle afin de faciliter les échanges. Les personnes qui prennent la parole le font dans un micro à hautes fréquences adapté aux personnes malentendantes. Deux interprètes en français-langue des signes québécoise (LSQ) effectuent la traduction pour les personnes sourdes qui assistent au cours, et une troisième traduit en français les enseignements de Véronique Leduc en LSQ pour les étudiantes et étudiants entendants.
«Je vous raconterai ce qui m’a conduit à faire ma thèse doctorale sur l’émergence des arts handicapés, annonce Sarah Heussaff. Je vous inviterai ensuite à créer vous-mêmes une œuvre, individuelle ou collective, autour de l’un de vos souvenirs d’accueil ou d’accessibilité. Vous pourrez même exposer vos œuvres dans le labo si vous le souhaitez.»
Création dans le lit
Originaire d’une petite ville portuaire du nord-ouest de la France, Sarah Heussaff a grandi avec des parents handicapés et vit avec une maladie chronique et une neuroatypie. Titulaire d’un master en métiers et arts de l’exposition de l’Université Rennes 2, elle ne réussit pas à trouver dans son pays une direction de recherche qui partage sa vision du handicap. «On me reprochait de politiser le handicap ou d’associer handicap et politique, alors qu’il est clair que les deux sont indissociables», raconte la doctorante. Elle contacte Véronique Leduc – qui est devenue en 2017 la première personne sourde à occuper un poste de professeure au Québec – et entame sa recherche doctorale à l’UQAM à l’automne 2019.
Sa thèse, financée par le FRQSC, porte sur l’émergence des arts handicapés en relation avec les mouvements activistes handicapés. Elle rédige son projet de thèse alors qu’elle est alitée en raison de sa maladie. «Mon lit prenait une place centrale dans ma vie, et j’ai découvert que je n’étais pas la seule!, explique-t-elle. D’autres artistes comme Frida Kahlo, Liz Crow et Jennifer Brea [NDLR: cette dernière a réalisé le documentaire Unrest sur la stigmatisation entourant la maladie et la fatigue chroniques, dont quelques extraits ont été diffusés par Sarah Heussaff durant la séance], ont aussi intégré leur lit dans leur processus de création.»
Pour Sarah Heussaff, cette relation avec son lit culmine, en 2024, avec l’exposition De la vie au lit, présentée à la Galerie de l’UQAM et dont elle est la commissaire. Elle a invité six artistes de la diversité capacitaire qui ont présenté le lit comme un «espace de partage de blessures et de moments romantiques et amicaux, de repos, voire de résistance à l’injonction capitaliste de surproduction qui stigmatise les corps allongés».
De la vie au lit connaît un rayonnement médiatique et un succès qui dépasse les frontières québécoises. Une rampe d’accès pour personnes à mobilité réduite est construite à la Galerie spécialement pour l’exposition. «Je suis particulièrement fière que la rampe soit restée de façon permanente, ce qui facilite l’accès des personnes handicapées aux nouvelles expositions», précise la doctorante.
Des moments sombres et des moments d’espoir
Au retour de la pause, les étudiantes et étudiants amorcent l’atelier de création portant sur un souvenir d’accueil ou d’accessibilité. Matthieu crée une œuvre en trois temps où sont représentées des spirales. «Ces spirales représentent des victoires et des défaites, des moments sombres qui cohabitent avec des moments d’espoir», explique l’étudiant.
Yves-Marie, un sexagénaire sourd-aveugle qui est aussi étudiant à la maîtrise à l’Institut national de la recherche scientifique, effectue un collage de mots d’un livre qu’il a lui-même numérisé. «Je ne me sens accueilli que depuis tout récemment, un sentiment que je n’ai pas connu durant une bonne partie de ma vie, raconte-il. J’ai appris à m’accueillir et à m’accepter moi-même et, depuis, les autres m’accueillent aussi.»
Inscriptions pour l’automne
Le séminaire est offert dans le cadre du microprogramme de deuxième cycle Handicap et sourditude: droits et citoyenneté. «Le cours est un espace formidable de co-construction des savoirs dans une approche “par et pour”, affirme Véronique Leduc. Nous avons un fonctionnement de classe fondé sur la prise en compte de la temporalité handicapée.»
La prochaine édition du cours aura lieu à l’automne en formule intensive, soit trois fins de semaines et trois mercredis soirs avec des conférences en ligne.
On peut faire une demande d’admission au microprogramme et s’inscrire au cours en continu.