19 novembre 2018

Accommodements en contexte d’évaluation de la qualité du français à l’admission aux études universitaires

Denis Côté, conseiller en soutien aux étudiants en situation de handicap, Université TÉLUQ

Préambule

Pour ceux qui seraient impliqués et préoccupés par la réduction des potentielles situations de discrimination en raison d’une situation de handicap dans un contexte d’évaluation de la qualité de la langue à l’admission dans un établissement universitaire francophone, voici un résumé des éléments que nous avons cru important de considérer avec nos équipes lors de récentes réflexions sur ce sujet. En espérant que ces informations pourront inspirer d’autres milieux qui souhaitent s’engager dans une démarche de réflexion similaire.

 

Pourquoi accommoder ?

Liée à des enjeux légaux, l’institution se doit d’accommoder afin de réduire les barrières que peut engendrer la situation de handicap. « …une obligation d’accommodement naît en faveur de l’étudiant. La preuve de l’existence d’un lien entre le handicap et l’accommodement demandé est requise[1]. Ainsi, afin de corriger la situation discriminatoire et d’assurer l’égalité réelle de l’étudiant en situation de handicap… »[2]. De plus, « ces établissements n’ont pas de responsabilités à l’égard de la réussite des étudiants en situation de handicap, mais la responsabilité de leur donner des moyens de réussite équivalant à ceux des autres étudiants, compte tenu de leur situation de handicap et à condition que ces moyens ne constituent pas une contrainte excessive »[3]. Ces enjeux légaux sont également défendus par l’Association québécoise interuniversitaire des conseillers aux étudiants en situation de handicap (AQICESH)[4].

 

Quand accommoder ?

Malgré les encadrements légaux, la question des accommodements en situation d’évaluation reste un sujet sensible, car il faut concilier les accommodements de la situation de handicap avec le respect des critères d’évaluation. Toutefois, l’évaluation de la qualité de langue est davantage nuancée, car elle peut représenter un obstacle, une discrimination pour l’accès à la formation. En ce sens, la recherche de solutions doit tenir compte de cette nuance. Il nous apparaît donc important de positionner les travaux de réflexion non pas sur les exigences particulières de certification de certains domaines tels que le journalisme, la traduction ou l’enseignement, mais sur les conditions spécifiques relatives à l’accès aux études universitaires.

 

Quels types de situations de handicap ont des impacts sur l’expression des compétences en rédaction ?

Lorsque l’on analyse les différents types de situations de handicap[5] qui présentent des impacts dans le traitement du langage écrit, il est possible de les regrouper selon trois sous-groupes :

 

1- Limitations dans la manipulation d’un crayon ou d’un clavier (handicap physique ou visuel) :

Ces limitations impliquent que l’écriture manuscrite soit assistée par un ordinateur ou un scripteur. Ce mode alternatif d’écriture compromet l’évaluation des deux dimensions de l’orthographe (usage et grammaticale), car ce type d’erreurs potentielles est le fruit du scripteur ou de l’ordinateur (reconnaissance vocale). L’étudiant reste malgré tout responsable de vérifier le produit final et de demander des correctifs qu’il juge pertinents en fonction de ses connaissances du code linguistique.

 

2- Limitations dans le traitement spécifique du langage écrit (troubles d’apprentissage ou troubles neurologiques) :

Pour ce groupe, les limitations impactent de manière importante et permanente les deux dimensions de l’évaluation de l’orthographe7.

 

3- Limitations dans le traitement du langage (handicap auditif, trouble du langage ou troubles neurologiques) :

Ce dernier groupe présente des atteintes plus généralisées pour l’ensemble des dimensions de l’évaluation des compétences en rédaction.

 

Comment les étudiants en situation de handicap concernés ont-ils été accommodés par le passé?

Dans les recherches de solutions, il est intéressant de connaître les accommodements admissibles aux secteurs jeune et collégial. Il a donc été possible d’apprendre que les accommodements proposés à l’épreuve ministérielle du niveau secondaire[6] sont également possibles à l’épreuve uniforme de français du niveau collégial. « Les accommodements prévus peuvent prendre différentes formes selon les besoins de l’élève. Il doit y avoir une adéquation entre le besoin de l’élève, l’accommodement choisi et ce qui est évalué. L’accommodement doit être indispensable pour l’élève : sans lui, il ne pourrait faire la démonstration de sa compétence en raison de ses limitations. Par ailleurs, l’élève doit être en mesure d’utiliser efficacement les outils requis. » Par exemple : « Les logiciels peuvent être : un correcteur orthographique et grammatical ; un dictionnaire électronique; un logiciel adapté (la synthèse vocale, qui convertit un texte numérique en voix synthétisée, est autorisée). »[7] Fait intéressant, la dictée vocale ou reconnaissance vocale exige une demande particulière auprès des instances gouvernementales liées à la sanction des études.

 

Quelles sont les possibilités d’accommodements en contexte de rédaction?

De manière générale, il est convenu de permettre certains accommodements tels que le local isolé ou du temps supplémentaire. Toutefois, nous croyons pertinent de recenser les accommodements possibles au regard des limitations affectant plus particulièrement les compétences en rédaction:

– Assistance à l’écriture : écriture avec ordinateur : compense l’incapacité à la manipulation du crayon;

– Assistance à l’écriture : écriture avec ordinateur et logiciel de reconnaissance vocale ou scripteur : compense l’incapacité à la manipulation du crayon ou du clavier – écriture braille (l’orthographe d’usage et de grammaire ne sont pas évaluables, car c’est la performance de l’ordinateur ou du scripteur);

– Assistance à l’écriture : une personne soutient l’organisation des idées et soutient leur transposition à l’écrit (cet accommodement ne fait pas l’unanimité, car il pose problème dans l’authenticité de la rédaction. Cet accommodement est davantage applicable en cours d’apprentissage);

– Assistance à la correction : une personne pointe les fautes à corriger (usage, grammaire et syntaxe) ;

– Assistance à la correction : utilisation de logiciel d’aide à la correction (usage, grammaire et syntaxe);

– Correction adaptée : les erreurs sont analysées en fonction du trouble ou du handicap (difficultés dans la formation des correcteurs) ;

– Grille de correction adaptée : certains critères sont abolis (la majorité du temps : usage et grammaire) ;

– Remplacement ou diversification des tâches ou contexte d’évaluation: (Exemple : évaluation à l’oral de la connaissance des règles grammaticales).

Pourquoi permettre l’utilisation des outils informatiques d’aide à la correction ?

Au regard de ces possibilités, au Québec, une certaine convention entre les intervenants et les ordres d’enseignement engendre une combinaison de ces accommodements, le temps que l’étudiant ayant des besoins particuliers devienne fonctionnel dans l’expression de ses compétences en rédaction avec l’utilisation de l’ordinateur et, au besoin, d’un logiciel de correction. Cette vision est d’autant plus confirmée par les programmes ministériels qui impliquent l’utilisation d’outils de référence dans la démonstration des compétences en rédaction. Cette vision est aussi réaffirmée dans les exigences et directives pour l’épreuve uniforme au secondaire et au collégial[8].

 

Comme en témoignent les grilles de correction, rédiger, surtout aux études supérieures, est davantage un exercice complexe que le simple fait de corriger des fautes d’orthographe. Plusieurs professionnels et intervenants s’entendent pour reconnaître les outils informatiques d’aide à la correction comme des outils d’assistance en réponse à une situation de handicap en contexte de rédaction.

 

Mais d’où vient le fait qu’il faut évaluer les étudiants à l’admission à l’université ?

À la suite d’une recherche auprès de la Direction des affaires étudiantes et institutionnelles au ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, nous avons appris que les seules règles, exigences ou directives ministérielles qui imposent l’évaluation à l’admission de la maîtrise du français existent seulement en lien avec les exigences de la Charte de la langue française qui mentionne une obligation de se doter d’une politique linguistique[9].

 

En complément, il est fréquent d‘observer dans les règlements institutionnels la mention de diverses possibilités dans la manière de démontrer ses compétences en langue. Par exemple, l’exemption du test de français est possible si une personne a réussi l’épreuve uniforme au secteur collégial ou réussi le test de français d’une autre université. Cette partie de recension des pratiques soulève donc la question de l’équité entre les statuts d’admission et l’équivalence des divers tests[10].

 

Pourquoi se préoccuper du test au collégial, ce n’est pas le même contexte ?

Le problème ne concerne pas les différences entre les deux contextes, mais bien les ressemblances. Il est intéressant de savoir que l’épreuve du secteur collégial impose la réussite à chacun des trois volets de l’évaluation, dont la maîtrise de la langue (orthographe d’usage et grammaticale) pour officialiser la réussite de l’évaluation[11]. De plus, certaines universités telles que l’UQAC et l’Université TÉLUQ permettent, sous recommandations des services aux ÉSH, l’utilisation d’un logiciel d’assistance à la correction.

 

À ce point, il est important de rappeler que l’utilisation d’un logiciel de correction est, pour une personne qui présente une dysorthographie, une chance extraordinaire d’enfin pouvoir utiliser un outil de référence. Grâce à l’utilisation de ces outils informatiques d’assistance à la correction, cet étudiant devient responsable d’utiliser ses connaissances du code linguistique pour répondre aux propositions du logiciel. Quelqu’un qui dirait accepter toutes les propositions faites par l’outil de correction aurait certainement plusieurs erreurs. Il est fréquent de rencontrer des étudiants en situation de handicap au collégial qui, malgré l’utilisation d’un tel outil (même Antidote), ne parviennent pas à répondre aux exigences de réussite de l’épreuve uniforme.

 

Que devrions-nous faire pour le cours d’appoint advenant un échec au test d’admission ?

Par conséquent, les cours de rattrapage à la suite d’un échec des tests d’admission doivent aussi être visés par la recherche de solutions afin d’éviter des situations de discrimination en raison d’une situation de handicap. Sur ce point, citons l’exemple de la TELUQ qui a réalisé une adaptation du test final du cours de français obligatoire à la suite de l’échec du test d’admission[12]. Ce travail a impliqué la collaboration entre le service aux ÉSH et le professeur responsable du cours. Les adaptations ont porté, d’une part, sur l’abolition des questions d’orthographe d’usage. D’autre part, les questions impliquant un repérage et une correction des fautes dans des phrases ont été remplacées par des questions à choix multiples sur les raisons expliquant la correction des erreurs d’orthographe grammaticale ciblées dans des phrases. De plus, pour les questions de richesse de vocabulaire et de correction des anglicismes, les erreurs d’orthographe d’usage ne sont pas prises en compte par le correcteur. Ces démarches auraient tout intérêt à être analysées sous l’angle de la conception universelle des apprentissages[13] et ainsi peut-être, offrir cette version d’examen à tous.

 

En conclusion

Il est important de s’assurer d’une cohérence institutionnelle par la concordance entre les politiques d’admission et les politiques linguistiques ; d’assurer une équité entre les critères d’admission entre les clientèles; de distinguer l’admission de la certification et, au besoin, de diversifier les contextes d’évaluation ; de valoriser la continuité entre les ordres d’enseignement; de donner la juste place aux outils informatiques de référence et d’assistance à la correction; d’explorer l’application de la conception universelle de l’apprentissage dans un contexte d’évaluation des compétences en rédaction et, au besoin, de diversifier les tâches et contextes d’évaluation, car tout ceci, ne l’oublions pas, a pour but de valoriser une maîtrise suffisante de langue pour entreprendre des études universitaires.

[1] Référence au jugement Sotiropoulos v. York University, 2009 HRTO 2278

[2] http://www.cdpdj.qc.ca/publications/accommodement_handicap_collegial.pdf

[3] https://uqo.ca/sites/default/files/fichiers/9763-guide-reference-surmesures-daccommodement.pdf

[4] http://aqicesh.ca/cadre-de-reference/presentation-191

[5] Le service aux ÉSH base la reconnaissance d’une situation de handicap sur l’analyse des besoins en lien avec des preuves officielles explicitant le ou les diagnostics en respect aux lois qui encadrent les profession

[6] http://www.institutta.com/troubles-apprentissage/

[7]http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/site_web/documents/dpse/sanction/Guide-sanction-2015_fr.pdf (Page 107-109)

[8] Document PDF accessible sur le site sécurisé du Ministère, Guide des accommodements pouvant être offertsaux élèves ayant des besoins particuliers, 2017.

[9] http://www.education.gouv.qc.ca/colleges/etudiants-au-collegial/epreuves-de-langue/epreuve-uniforme-de-francais/

[10] Article 88.2, Charte de la langue française – http://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/showdoc/cs/C-11

[11]http://www.education.gouv.qc.ca/fileadmin/contenu/documents_soutien/Ens_Sup/Collegial/Epreuves_francais/Guide_AZ_VF.pdf

[12]https://www.teluq.ca/site/admission/maitrise_francais.php#note1

[13] http://www.capres.ca/dossiers/la-conception-universelle-de-lapprentissage-cua/